WIPO

Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Société Française De Radiotéléphone-SFR contre Fabio Canavarou

Litige n° D2009-1575

1. Les parties

Le Requérant est la Société Française De Radiotéléphone-SFR, France, représenté par le Cabinet Vidon, Marques & Juridique PI Dpt, France.

Le Défendeur est Fabio Canavarou, France.

2. Nom de domaine et unité d'enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <information-sfr.com>.

L'unité d'enregistrement, auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré, est Cronon AG Berlin, Niederlassung Regensburg.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par la Société Française De Radiotéléphone-SFR auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 24 novembre 2009.

En date du 25 novembre 2009, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, Cronon AG Berlin, Niederlassung Regensburg, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 30 novembre 2009, l'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige. Le 1 décembre 2009, le Centre a envoyé un document relatif à la langue de la procédure. Le Requérant a déposé un amendement le 3 décembre 2009.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 9 décembre 2009, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 29 décembre 2009. Le Défendeur n'a fait parvenir aucune réponse. En date du 30 décembre 2009, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 8 janvier 2010, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Marie-Emmanuelle Haas. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

Le 1 décembre 2009, le Centre a envoyé un document relatif à la langue de la procédure, indiquant que la langue du contrat d'enregistrement est l'allemand. Il a donc notifié au Requérant les règles relatives à la désignation de la langue de la procédure.

Dans l'amendement qu'il a déposé le 3 décembre 2009, le Requérant précise qu'il sollicite que la procédure soit en français, en faisant référence à la motivation développée sur ce point dans la plainte.

Il s'agit des éléments suivants :

- selon le critère de l'identité et de la nationalité respectives du Requérant et du Défendeur, il existe un rattachement à la France, puisque le Requérant est une société de droit français, tandis que le Défendeur est une personne physique de nationalité française, ou à tout le moins, une adresse de résidence déclarée en France,

- il existe des décisions précédemment rendues par l'OMPI dans lesquelles l'unité d'enregistrement était la même (soit : Cronon AG Berlin, Niedeerlassung Regensburg) et dans lesquelles le choix d'une langue autre que l'allemand a volontairement été demandé et accepté

Selon les termes de l'article 11 “Langue de la procédure” des Règles d'application :

“a) Sauf convention contraire entre les parties ou stipulation contraire du contrat d'enregistrement, la langue de la procédure est la langue du contrat d'enregistrement; toutefois, la commission peut décider qu'il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative. ”

Le Défendeur n'a pas répondu au document relatif à langue de la procédure et à la plainte. Aucun accord relatif à la langue de la procédure n'a donc pu intervenir entre les parties. Aucune disposition contraire du contrat n'a été signalée. La Commission peut donc décider que la langue de procédure est une langue autre que celle du contrat d'enregistrement. Eu égard aux liens de chacune des parties avec la France et aux circonstances de la procédure, la Commission décide que la langue de la procédure est le français.

4. Les faits

Les faits détaillés ci-après ont dûment été exposés et prouvés par le Requérant. Leur véracité n'a pas été contestée par le Défendeur.

La société SFR est présenté en quelques chiffres : 11,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2008, près de 10 000 collaborateurs, plus de 20 millions de clients mobile, plus de 4 millions de foyers clients à l'Internet haut débit, 169 000 sites d'entreprises raccordés, près de 99% de la population couverte en GSM/GPRS, 1er réseau très haut débit mobile en France avec près de 80% de la population couverte en 3G/3G+ fin 2009, réseau mobile n°1 en 2008 pour la 5ème année consécutive (enquête ARCEP), réseau fixe tout IP, 50 000 km de réseau en fibre optique, 1ère plateforme ADSL dégroupée en France.

Le Requérant utilise essentiellement sa marque SFR en France et en Europe avec une notoriété mondiale pour toutes ses activités de téléphonie (produits, radiotéléphones notamment et services, services de radiotéléphonie, notamment).

Les marques sur lesquelles la présente plainte est plus particulièrement fondée, sont les suivantes :

- la marque internationale SFR n° 643842 du 2 août 1995 désignant les classes 9, 35 et 38;

- la marque internationale SFR le monde sans fil est à vous n° 635603 du 27 janvier 1995 désignant les classes 9, 35 et 38;

- la marque communautaire SFR n° 004648309 du 22 septembre 2005 désignant les classes 9, 38, 41 et 42;

- la marque communautaire SFR le choix des internationaux n° 001880061 du 27 septembre 2000 désignant les classes 9, 16, 35, 36, 38, 41 et 42 et

- la marque française SFR n° 00 3 071 323 du 15 décembre 2000 désignant les classes 9, 16, 35, 36, 37, 38, 39, 41 et 42.

La plainte est également basée sur la dénomination sociale “Société française du radiotéléphone SFR” régulièrement inscrit auprès du Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le n° RSC B 403 106 537 depuis le 14 décembre 1995.

Le Requérant déclare être par ailleurs titulaire de nombreux noms de domaine composés de la marque SFR seul ou associé à un autre terme, notamment : <sfr.com>, <sfr.net>, <sfr.fr>, <sfr.asia>, <sfr.org>, <sfrbox.fr>, <sfrbox.com> (…).

Le nom de domaine <information-sfr.com> a été enregistré le 17 novembre 2009 par Monsieur Fabio Canavarou, domicilié à Paris. Selon les pièces communiquées, il donne accès à une page comportant la mention “Cette page n'est pas disponible pour l'instant Veuillez réessayer plus tard. Merci de votre compréhension”.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le nom de domaine <information-sfr.com> prête indéniablement à confusion avec les nombreuses marques antérieures SFR du Requérant de même qu'avec sa dénomination sociale “Société française du radiotéléphone SFR” en ce que ce nom de domaine contesté est composé de la combinaison des trois mêmes lettres distinctives “S-F-R”, apparaissant après un terme complètement descriptif, à savoir : “information”.

La juxtaposition du terme “information” au sigle “SFR” dans le nom de domaine litigieux <information-sfr.com> n'atténue en rien le risque de confusion. En effet, le terme “information” est un terme générique.

Or le principe selon lequel la simple adjonction d'un terme générique à une marque enregistrée n'écarte pas le risque de confusion est un principe désormais bien acquis. Plusieurs décisions UDRP de l'OMPI en ce sens ont été précédemment rendues (par exemple : GA Modefine SA v. Riccardo Bin Kara-Mat, Litige OMPI No. D2002-0195; Parfums Christian Dior v. 1 Netpower, Inc., Litige OMPI No. D2000-0022; Nintendo of America, Inc. v. Gray West International Litige OMPI No. D2000-1219; Kabushiki Kaisha Toshiba d/b/a Toshiba Corporation v. Distribution Purchasing & Logistics Corp, Litige OMPI No. D2000-0464).

Le sigle “SFR” demeure prédominant dans le nom de domaine contesté <information-sfr.com> et le risque de confusion avec les marques et la dénomination sociale du Requérant est caractérisé.

Le Requérant certifie que le Défendeur n'a aucun droit ni aucun intérêt légitime à utiliser sa propre marque déposée SFR. Le Défendeur n'est pas et n'a jamais été licencié de la société requérante et il n'a jamais été autorisé par le Requérant à utiliser ses marques SFR.

Le Requérant déclare que, le 17 novembre 2009, jour de l'enregistrement, le Défendeur, qui réside en France, ne pouvait pas ignorer l'existence du 2ème opérateur de téléphonie mobile français SFR.

La notoriété de la société SFR et de sa marque éponyme est indéniable en France et a d'ailleurs été précédemment reconnue dans Société Française du Radiotéléphone-SFR Contre Sylvain Andrieu-Guitrancourt, Litige OMPI No. D2007-0084 ; Société Française du Radiotéléphone-SFR v. Modern Limited – Cayman Web Development, Litige OMPI No. D2004-0385 et SFR v. DLI Dale Miller, Litige OMPI No. D2002-0425 ou encore dans Société Française du Radiotéléphone SFR Contre Zeev Arzoine, Litige OMPI No. D2007-1505).

Le Requérant fait valoir que le nom de domaine a été enregistré en vue de perturber ses opérations commerciales, de nuire à ses clients et il allégué des actes de “phishing” (ou en français “hameçonage”).

Il précise que le nom de domaine <information-sfr.com> ne renvoit qu'à un site en cours de construction. Or il a été précédemment décidé que la passivité du Défendeur pouvait être considérée comme une preuve de sa mauvaise foi (Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003 et Atlantic Recording Corporation v. Paelle International, Litige OMPI No. D2001-0065).

Le Requérant en conclut à la mauvaise foi de l'enregistrement et de l'usage du nom de domaine.

B. Défendeur

Le Défendeur n'a pas répondu à la plainte.

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant d'apporter la preuve que les trois conditions suivantes sont réunies cumulativement :

- le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits;

- le Défendeur ne dispose d'aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y attache;

- le nom de domaine est enregistré et utilisé de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La Commission relève en premier lieu que le Requérant a dûment établi les droits qu'il détenait sur le terme SFR à titre de marque, au niveau international, communautaire et en France. Les autres droits ne sont pas pris en compte, puisque, selon le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs, il s'agit d'examiner si le “nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits”.

S'il est vrai que le Requérant n'est pas titulaire d'une marque identique à l'' expression “information-SFR”, ce nom peut être considéré comme faisant partie de la famille de marques SFR appartenant au Requérant et conduire indûment le public à leur attribuer une origine commune, d'où un risque de confusion.

Dans l'ensemble “information-SFR”, le terme générique “information” s'applique clairement au sigle “SFR” qui est une marque renommée en France, où est le Défendeur est domicilié, et c'est la marque SFR qui est l'élément dominant de ce nom de domaine.

Le choix du terme générique “information” laisse naturellement croire que le nom de domaine a vocation à être consacré à la diffusion d'informations sur la société SFR et sur les marques SFR.

Le nom de domaine <information-sfr.com> est donc semblable, au point de prêter à confusion, à la marque SFR sur laquelle le Requérant a des droits.

B. Droits ou légitimes intérêts

Le Requérant indique que le Défendeur n'a en aucune manière été autorisé par le Requérant à utiliser la marque SFR à quelque titre que se soit ou à enregistrer le nom de domaine <information-sfr.com>.

En l'absence de preuve contraire des droits, ou d'un intérêt légitime sur le nom de domaine <information-sfr.com>, et au regard des éléments développés dans le paragraphe ci-dessous “enregistrement et usage de mauvaise foi” par la Commission, il y a lieu de considérer que le Défendeur n'a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Selon le paragraphe 4(b) des Principes directeurs, la réalisation de l'une des circonstances suivantes est susceptible d'établir que le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi :

i) Les faits montrent que le Défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d'une autre manière l'enregistrement de ce nom de domaine au Requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu'il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine ;

ii) Le Défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d'empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d'une telle pratique ;

iii) Le Défendeur a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d'un concurrent ; ou

iv) En utilisant ce nom de domaine, le Défendeur a sciemment tenté d'attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l'Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l'affiliation ou l'approbation de son espace ou espace Web ou d'un produit ou service qui y est proposé.

Il résulte de l'absence de réponse à la plainte que les griefs du Requérant n'ont pas été contestés.

La marque SFR bénéficie d'une grande notoriété sur le territoire français. En conséquence, le Défendeur, personne physique résidant en France, ne pouvait, à la date de l'enregistrement du nom de domaine <information-sfr.com>, ignorer la marque SFR du Requérant et l'usage intensif qu'il en fait.

C'est en connaissance des droits du Requérant qu'il a choisi d'enregistrer ce nom de domaine.

La liste des critères de la mauvaise foi, telle qu'établie par le paragraphe 4(b) des Principes directeurs n'est pas limitative.

Sur la question de l'usage, il est établi que le nom de domaine n'est pas utilisé “activement” pour donner accès à un site. Le Requérant allègue des pratiques de “phishing” (en français “hameçonage”) dans sa plainte, sans toutefois en apporter la preuve, pour prouver l'usage de mauvaise foi.

Le critère de l'usage de mauvaise foi ne signifie pas que le Requérant doit apporter la preuve d'agissements effectifs car l'inaction peut aussi caractériser un usage de mauvaise foi, selon le critère de “l'usage passif”. C'est en fonction des circonstances de l'espèce que la situation doit être analysée (Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003 et Atlantic Recording Corporation v. Paelle International, Litige OMPI No. D2001-0065).

L'absence de site en ligne à partir du nom de domaine ne signifie pas que le nom de domaine n'est pas utilisé, en particulier comme adresse électronique.

La Commission prend notamment en compte le mode de communication du Requérant avec ses clients, via Internet et les modes de communication électronique, pour examiner les faits de l'espèce.

Selon la Commission, le Défendeur ne peut pas ignorer la renommée de la marque SFR et, même si la preuve de pratiques de “phishing” n'est pas rapportée, le risque est réel que le Défendeur utilise le nom de domaine <information-sfr.com> pour en faire un usage illicite.

Ces pratiques sont ou seraient gravement préjudiciables, tant au Requérant, qu'aux tiers concernés. Ce risque, même potentiel, ne peut perdurer.

En tout état de cause, l'absence d'usage du nom de domaine <information-sfr.com>, pour donner accès à un site, caractérise un “usage passif” effectué dans le but de perturber les activités du Requérant sur Internet, de mauvaise foi.

En application du Paragraphe 4(b) des Principes directeurs, selon la Commission, le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi, en particulier, en raison de certaines circonstances visées aux articles 4(b)(iii) et (iv) des Principes directeurs.

7. Décision

Pour les motifs exposés ci-dessus et en application des paragraphes 4(i)(ii)(iii), des paragraphes 4(b)(iii) et (iv) des Principes directeurs et du paragraphe 15 des Règles d'application, la Commission administrative ordonne le transfert du nom de domaine <information-sfr.com> au profit du Requérant.


Marie-Emmanuelle Haas
Expert Unique

Le 22 janvier 2010