Le Requérant est la Société Air France de Roissy Charles de Gaule Cedex, France, représenté par Meyer & Partenaires, France.
Le Défendeur est ATPS / Bennaceur Djemoui de La Courneuve, France.
Le litige concerne les noms de domaine <airfrance-navette-aeroport.com>, <airfrance-shuttle.com> et <airfranceshuttle.com>.
L'unité d'enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est OVH.
Une plainte a été déposée par la Société Air France auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 18 mai 2010.
En date du 18 mai 2010, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, OVH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 19 mai 2010, l'unité d'enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l'ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d'application”), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l'application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 25 mai 2010, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 14 juin 2010. En date du 16 juin 2010, le Défendeur n'ayant pas fait parvenir de réponse dans les temps prescrits, le Centre a notifié le défaut du Défendeur. Le 17 juin 2010, le Défendeur a fait parvenir au Centre une Réponse. Le 18 juin 2010, le Centre a accusé réception de la Réponse tardive du Défendeur et a informé les parties que la Commission administrative aurait compétence pour décider si la Réponse devait être admise ou non dans la présente procédure ainsi que des suites à donner à cette affaire.
En date du 25 juin 2010, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Martine Dehaut. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.
A titre liminaire, il convient de mentionner ici l'existence de la décision Société Air France contre Alliance Transport et Proximité Shuttle, Litige OMPI No. DFR2010-0013 récemment rendue par le même Expert en vertu du Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (le “Règlement”), et impliquant des noms de domaine très similaires enregistrés sous l'extension “.fr”, à savoir <airfrance-navette-aeroport.fr>, <airfrancenavetteaeroport.fr>, <airfrance-shuttle.fr> et <airfranceshuttle.fr>. Dans cette affaire, l'Expert a ordonné le transfert des noms de domaine susvisés au profit de la Société Air France, au motif essentiellement que leur enregistrement portait atteinte aux droits détenus par cette dernière sur la marque AIR FRANCE.
Il est à noter que le défendeur dans l'affaire Société Air France contre Alliance Transport et Proximité Shuttle, supra, était Alliance Transport et Proximité Shuttle. Il existe donc aux yeux de la Commission administrative une évidente relation entre ce défendeur et celui qui est partie à la présente procédure (ATPS semble effectivement correspondre au sigle de la société Alliance Transport et Proximité Shuttle).
En tout état de cause, l'appréciation du bien-fondé de la présente procédure obéit à des règles distinctes; néanmoins les faits qui en sont à l'origine sont dans une large mesure identiques.
Le Requérant est la Société Air France, titulaire entre autres de la marque AIR FRANCE, et dont les activités de transporteur aérien sont mondialement connues. L'alliance Air France-KLM est, de fait, l'un des premiers transporteurs mondiaux, tant en terme de flotte d'avions, que de passagers ou de fret transportés. La notoriété de la marque AIR FRANCE est expressément reconnue dans plusieurs décisions en vertu des Principes directeurs ou en vertu du Règlement.
Entre autres nombreuses marques, le Requérant est titulaire des enregistrements français et communautaires suivants visant notamment les services de transport aérien et les services de navettes automobiles :
- Marque française AIR FRANCE No. 99811269 du 6 octobre 1999;
- Marque française AIR FRANCE No. 083575442 du 15 mai 2008;
- Marque française AIR FRANCE No. 2528461 du 9 janvier 2002;
Pour le développement de ses activités, le Requérant est fortement présent sur l'Internet, et exploite notamment les noms de domaine <airfrance.com> (12 millions de trafic mensuel de visiteurs uniques) et <airfrance.fr>.
Le Défendeur est ATPS / Bennaceur Djemoui. Tel qu'indiqué précédemment, ATPS correspond au sigle de la société Alliance Transport et Proximité Shuttle, dont Monsieur Bennaceur Djemoui est le gérant. Cette société exerce des activités de transport de et vers les aéroports, et a son siège près de l'aéroport parisien Roissy Charles de Gaulle.
Les noms de domaine litigieux ont été enregistrés en juin et septembre 2009 par un ancien salarié du Défendeur, M. Jolivet. Au moment du dépôt de la plainte, ces noms de domaines faisaient l'objet d'utilisations distinctes. Le nom de domaine <air-france-shuttle.com> renvoyait vers une simple page blanche, sans le moindre contenu tandis que les noms de domaine <airfranceshuttle.com> et <airfrance-navette-aéroport.com> étaient activés pour renvoyer les internautes vers un site intitulé Airport Shuttle Service, hébergé sous le nom de domaine <airport-shuttleservice.com>.
À l'automne 2009, le conseil du Requérant a mis M. Jolivet en demeure de procéder au transfert des noms de domaine litigieux au profit de sa mandante.
Nonobstant les échanges téléphoniques maintenus entre M. Jolivet et le conseil du Requérant, qui laissaient présager un transfert amiable des noms de domaines litigieux, ces derniers ont finalement été cédés en avril 2010 au Défendeur. Cette cession concernait plusieurs dizaines de noms de domaine, tous construits autour de l'idée de transport de et vers des aéroports (par exemple <airportsshuttle.fr>, <beauvais-airport-taxi.com>, etc).
Le Requérant a alors pris la décision de saisir le Centre afin d'obtenir le transfert à son profit des trois noms de domaine litigieux.
Les arguments du Requérant peuvent être résumés comme suit :
Il existe une similitude entre les noms de domaine incriminés et les marques AIR FRANCE du Requérant.
Le Défendeur n'a aucun droit sur ces noms de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y attache. Ce dernier n'est pas un agent d'Air France, et “ne s'est engagé dans aucune action qui indiquerait qu'il aurait un droit ou un intérêt légitime sur les noms de domaine litigieux”.
Concernant l'enregistrement et l'usage de mauvaise foi, le Requérant indique en substance que l'exceptionnelle notoriété attachée à la marque AIR FRANCE, et l'activité même du Défendeur, font que ce dernier avait nécessairement connaissance de la marque AIR FRANCE. Il existe de ce fait une présomption de mauvaise foi lors de l'enregistrement des trois noms de domaine. Ceux-ci font pour partie l'objet d'une détention passive (nom de domaine <air-france-shuttle.com>) et pour partie l'objet d'un usage susceptible de créer un risque de confusion sur l'origine des services rendus (noms de domaine <airfranceshuttle.com> et <airfrance-navette-aéroport.com>).
Le Défendeur a adressé sa réponse au Centre le 17 juin 2010, soit trois jours après l'expiration du délai qui lui était imparti et sans aucune explication ou justification. La Commission administrative ne peut que constater que cette réponse est inadmissible, et il n'en sera pas tenu compte.
Ainsi, il y a lieu de considérer que le Défendeur n'a pas répondu à la plainte.
Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant d'apporter la preuve que les trois conditions suivantes sont réunies cumulativement :
- Les noms de domaine sont identiques ou semblables au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits,
- Le Défendeur ne dispose d'aucun droit sur les noms de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y attache,
- Le noms de domaine sont enregistrés et utilisés de mauvaise foi.
La Commission administrative examine ci-après le bien fondé de l'argumentation du Requérant sur ces trois points.
Abstraction faite du domaine générique de premier niveau “.com”, qui n'est pas appropriable, les signes à comparer présentent une similitude propre à générer une confusion avec la marque AIR FRANCE et ce, au sens de la disposition appliquée. En effet, les noms de domaine litigieux reprennent à l'identique et en position d'attaque l'expression AIR FRANCE constituant les marques antérieures, et lui adjoignent des termes dépourvus de caractère distinctif dans le domaine du transport, à savoir “shuttle” (signifiant “navette”), “navette” et “ aeroport ”.
Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs énumère de manière non-exhaustive un certain nombre de circonstances de nature à établir les droits ou l'intérêt légitime du Défendeur sur les noms de domaine telles que :
(i) avant d'avoir eu connaissance du litige, le Défendeur a utilisé les noms de domaine ou un nom correspondant aux noms de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet,
(ii) le Défendeur (individu, entreprise ou autre organisation) est connu sous les noms de domaine considérés, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services, ou
(iii) le Défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal des noms de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.
En l'espèce, le Requérant a établi à suffisance l'absence de droit ou d'intérêt légitime du Défendeur sur les noms de domaine litigieux, et plus précisément sur leur élément d'attaque “air france”: le Défendeur n'est pas un agent de la Société Air France, et ne dispose d'aucune autorisation pour l'usage de la marque AIR FRANCE. En outre, les noms de domaine n'ont aucunement été exploités en liaison avec une offre de bonne foi de services de transport.
Selon le paragraphe 4(b) des Principes directeurs, la réalisation de l'une des circonstances suivantes est susceptible d'établir que les nom de domaine ont été enregistrés et utilisés de mauvaise foi :
(i) les faits montrent que le Défendeur a enregistré ou acquis les noms de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d'une autre manière l'enregistrement de ces noms de domaine au Requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu'il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ces noms de domaine,
(ii) le Défendeur a enregistré les noms de domaine en vue d'empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d'une telle pratique,
(iii) le Défendeur a enregistré les noms de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d'un concurrent, ou
(iv) en utilisant ces noms de domaine, le Défendeur a sciemment tenté d'attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l'Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du Requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l'affiliation ou l'approbation de son espace ou espace Web ou d'un produit ou service qui y est proposé.
Il convient de rappeler qu'en application des Principes directeurs, le Requérant ne peut obtenir gain de cause qu'à la double condition d'établir que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi, et est utilisé de mauvaise foi.
S'agissant en premier lieu de l'enregistrement de mauvaise foi, la Commission administrative constate que le Défendeur et son prédécesseur en droit, liés par une relation de travail, domiciliés en France près de l'aéroport Roissy Charles de Gaulle et exerçant leurs activités dans le domaine du transport de passagers de et vers les aéroports, avaient nécessairement à l'esprit la marque notoire AIR FRANCE du Requérant, lors de l'enregistrement puis de l'acquisition des noms de domaine litigieux, tout comme ils avaient à l'esprit les marques EASYJET, EMIRATES ou DISNEYLAND, elles-aussi sujettes à des enregistrements suspicieux de noms de domaine (par exemple <easyjetshuttle.com>, <emiratescarservice.com>, <disneylandparisshuttle.com>).
Au lieu d'opter pour des noms de domaine comprenant uniquement des termes génériques, associés par exemple à sa propre dénomination sociale ou à son sigle, le Défendeur a malicieusement associé la marque AIR FRANCE à des termes décrivant ses activités. Ce comportement caractérise la mauvaise foi du Défendeur lors de l'enregistrement de ces noms de domaine.
S'agissant en second lieu de l'utilisation de mauvaise foi :
Il est acquis dans la jurisprudence UDRP que la détention passive d'un nom de domaine est susceptible d'être considérée comme étant constitutive d'un usage de mauvaise foi, si les circonstances de l'espèce permettent à la Commission administrative de conclure en ce sens (sur cette question, voir la décision de principe Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003). Tel est le cas en l'espèce s'agissant du nom de domaine <airfrance-shuttle.com>, qui renvoie vers une simple page blanche. Il est difficilement concevable que ce nom de domaine puisse faire l'objet d'une utilisation de bonne foi dans le cadre de services de transport, de la part d'une entité qui n'est aucunement affiliée au Requérant. A cet égard il n'est pas inutile de rappeler, comme le fait le Requérant dans sa plainte, que la marque AIR FRANCE est elle-même utilisée pour des services de transport routier de passagers vers les aéroports d'Orly et de Roissy (LES CARS AIR FRANCE), de sorte que les parties exercent en partie des activités concurrentielles.
La Commission administrative estime par ailleurs que les noms de domaine <airfranceshuttle.com> et <airfrance-navette-aeroport.com> sont utilisés de mauvaise foi, au détriment du Requérant. En effet, le Défendeur bénéficie indûment du pouvoir d'attraction de la marque AIR FRANCE pour détourner les internautes vers son propre site commercial. Une telle utilisation, génératrice de confusion pour les usagers et totalement déloyale, caractérise également un usage effectué de mauvaise foi. La Commission administrative précise à titre surabondant que, préalablement à l'envoi de la première mise en demeure du conseil du Requérant au Défendeur à l'automne 2009, ces deux noms de domaine hébergeaient une page Internet présentant les services du Défendeur de telle façon à créer l'impression d'un lien institutionnel avec la Société Air France. Un usage similaire et tout aussi répréhensible se poursuit d'ailleurs en liaison avec des noms de domaine détenus par le Défendeur et reproduisant les marques EASYJET et DISNEYLAND.
Partant, la Commission administrative estime que les noms de domaine <airfrance-navette-aeroport.com>, <airfrance-shuttle.com> et <airfranceshuttle.com> ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi.
Pour les motifs exposés ci-dessus, et en application du paragraphe 4(i) des Principes Directeurs, et du paragraphe 15 des Règles, la Commission administrative ordonne le transfert des noms de domaine <airfrance-navette-aeroport.com>, <airfrance-shuttle.com> et <airfranceshuttle.com> au profit du Requérant.
Martine Dehaut
Expert Unique
Le 7 juillet 2010