Le requérant est Visa Europe Limited, Londres, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Inlex IP Expertise, France.
Le défendeur est Sarl Web Media, Lyon, France.
Le litige concerne les noms de domaine
<telephoneroseaveccartebleue.com>
<telephone-rose-carte-bleue.com>
<telephonerosecartebleue.com>
<telephone-rose-par-carte-bleue.com>
<telephoneroseparcartebleue.com>
L'unité d'enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est OVH.
Une plainte a été déposée par Visa Europe Limited auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 18 mars 2011.
En date du 18 mars 2011, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, OVH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le requérant. Le 23 mars 2011, l’unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d’application"), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 25 mars 2011, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 14 avril 2011. Le défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 15 avril 2011, le Centre notifiait le défaut du défendeur.
En date du 28 avril 2011, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Michel Vivant. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
La société de droit anglais Visa Europe Limited est titulaire d’un certain nombre de marques CARTE BLEUE:
Marques communautaires :
n° 000 710 647 déposée le 24 mars 1999 ;
n° 000 707 067 déposée le 18 juin 1999.
Marques françaises :
n° 92423680 déposée en juin 1992 ;
n° 96645267 déposée en juin 1996 ;
n° 053389090 déposée en octobre 2005 ;
n° 053389086 déposée en octobre 2005 ;
n° 053389094 déposée en octobre 2005 ;
n° 053389087 déposée en octobre 2005.
Par la suite, ont été enregistrés, en 2010, les noms de domaine litigieux cités plus haut.
Après avoir tenté vainement d’établir le contact avec l’auteur de ces enregistrements, la société Visa Europe Limited allait déposer plainte auprès du Centre, comme il a été dit plus haut.
Le requérant, s’appuyant sur les marques dont il est titulaire, fait valoir que les noms de domaine litigieux reprennent la marque CARTE BLEUE, tel que protégée, et que l’adjonction des termes "téléphone" et "rose" ne permettront pas d’écarter le risque de confusion, d’autant que les consommateurs connaissent parfaitement la dénomination Carte Bleue et qu’ils pourront "légitimement penser qu’il s’agit [de] nom[s] de domaine en lien avec les produits et services Carte Bleue". Il fait en outre observer que, par le passé, des titulaires de noms de domaine qui avaient également repris l’appellation Carte Bleue, seule ou associée à un autre élément, ont été condamnés à transférer les noms de domaine en cause.
Quant à l’absence de droit du défendeur, le requérant fait valoir que celui-ci "n’a pas acquis de droit de marque sur cette dénomination", ni bénéficié de "licence" ou même "d’autorisation", ni "acquis de réputation au travers d’une communication intense sur ces noms de domaine".
Sur l’exigence d’enregistrement et d’utilisation de mauvaise foi, le requérant note enfin très succinctement que le défendeur doit nécessairement bénéficier de la renommée de la marque CARTE BLEUE qui, ajoute-t-il, ne pourra que pâtir de son association à des services érotiques.
Comme il a été dit plus haut, le défendeur fait défaut.
Les marques en cause étant toutes des marques, communautaires ou françaises, CARTE BLEUE et les noms de domaine litigieux reprenant l’appellation Carte Bleue mais dans un ensemble plus vaste du type <telephoneroseaveccartebleue.com> ou <telephone-rose-par-carte-bleue.com>, il est bien certain qu’il n’y a pas identité entre les marques et les noms de domaine.
Il convient donc de se demander si les noms de domaine mis en cause peuvent être considérés comme "semblables" aux marques "au point de prêter à confusion" au sens du paragraphe 4.a) i) des Principes directeurs.
Les titulaires de marques CARTE BLEUE ont, à plus d’une occasion et encore récemment (ainsi Visa Europe Limited v. DomainByProxy.com / Dahai Huang, Litige OMPI No. D2011-0302), obtenu le transfert de noms de domaine qui reprenaient leurs marques sans y être totalement identifiables. Ces cas sont toutefois ici d’un médiocre secours car la "distance" entre la marque et le nom de domaine était faible, un lien pouvant être aisément fait entre l’un et l’autre ; ainsi quand le nom de domaine est <mycartebleue.com> (SAS Carte Bleue v. Jean Philippe Perl, Litige OMPI No. D2010-0535) ou <ma-carte-bleue.com> ou <ma-carte-bleu.com> (SAS Carte Bleue contre Housing Invest Society S.A., Christiaens Alain, Litige OMPI No. D2010-0536) ou encore <par-carte-bleue.com> et autres noms analogues (Visa Europe Limited v. DomainByProxy.com / Dahai Huang, supra).
C’est donc davantage par référence aux principes d’interprétation dégagés par les commissions administratives qu’il convient de se prononcer. Or il ressort de ceux-ci qu’il faut en premier lieu que la marque soit reconnaissable comme telle au sein du nom de domaine litigieux – ce qui est bien le cas ici puisque les termes carte bleue avec ou sans trait d’union se retrouvent dans les cinq noms de domaine litigieux. Dans l’interprétation des commissions administratives, il est aussi admis que l’addition de termes communs, descriptifs, négatifs… n’est pas de nature à écarter le risque de confusion qui aux termes du paragraphe 4 des Principes directeurs doit être caractérisé (voir, par exemple, Bayerische Motoren Werke AG v. (This Domain is For Sale) Joshuathan Investments, Inc., Litige OMPI No. D2002-0787 ; ou Sanofi-Aventis contre Alexandre Richards, Litige OMPI No. D2006-0878 qui observe que "l’usage des termes génériques ‘cheap’ et ’fast’ en combinaison avec la marque Ambien du requérant ne change rien car le manque de distinctivité de ces termes laisse persister la confusion").
Or les termes "téléphone rose" étant entrés dans le langage courant pour désigner un service de téléphone érotique, c’est bien de l’adjonction de termes ayant une signification dans ce langage courant, qu’il s’agit.
La question peut toutefois se poser de savoir comment les noms de domaine en cause (<telephoneroseaveccartebleue.com> ; <telephone-rose-carte-bleue.com> ; <telephonerosecartebleue.com> ; <telephone-rose-par-carte-bleue.com> ; <telephoneroseparcartebleue.com>) sont susceptibles d’être perçus. Ces noms de domaine, en effet, peuvent être compris, moins comme évoquant la "carte bleue", que comme désignant une prestation de téléphone érotique susceptible d’être réglée par carte bleue. Il peut ainsi être soutenu qu’il n’y a pas, à proprement parler, de risque de confusion.
Néanmoins, et même s’il n’y a pas lieu ici de faire spécialement application du droit européen, il est intéressant de noter que des textes européens comme de la jurisprudence de la Cour de Justice il ressort que le risque de confusion comprend le risque d’association. Qui plus est, il semble logique de considérer avec le Tribunal de Première instance, à l’époque des Communautés européennes, qu’il s’agit, quand le risque de confusion est mis en avant, d’éviter que cette possible confusion, créée par un biais ou un autre, influence indûment les consommateurs lorsqu’ils exercent leur choix (TPICE, 22 juin 2004, Picasso : Rec. p. II-1739). Or, au-delà de toute référence textuelle ou judiciaire, dans l’esprit, ce qui vaut de marque à marque vaut raisonnablement, au moins sur le point ici considéré, dans les relations entre marque première et nom de domaine subséquent.
Dès lors, et suivant le même raisonnement, il faut admettre que, même s’il n’est pas certain que les consommateurs croient à un lien entre le service proposé et le requérant, ceux-ci peuvent être fortement influencés par la présence au sein du nom de domaine des termes carte bleue, soit en recherchant les services offerts par le groupe Carte Bleue, soit en pensant pouvoir accéder à un service de téléphone rose dont le paiement pourrait être assuré de manière privilégiée par Carte Bleue – toutes choses sans réalité.
Il n’y a pas, d’ailleurs, intellectuellement parlant, de différence substantielle entre un nom de domaine <par-carte-bleue.com> dont l’enregistrement a été condamné (voir plus haut) et un nom de domaine <telephone-rose-par-carte-bleue.com> qui, simplement, "cible" ce qui est suggéré comme susceptible d’être réglé par Carte Bleue.
Il sera donc retenu que les noms de domaine litigieux présentent avec les marques en cause une similitude propre à prêter à confusion.
Rien n’indique que le défendeur puisse faire valoir un quelconque droit sur l’appellation Carte Bleue et ce d’autant plus qu’en présence d’une marque bien connue, sinon même susceptible d’être qualifiée de renommée, comme le sont les marques CARTE BLEUE, on imagine mal comment un tiers pourrait faire valoir sur le signe des droits ou intérêts légitimes à défaut d’autorisation contractuelle. La Commission administrative est donc d’avis que le requérant a satisfait le second élément des Principes directeurs.
Sur l’exigence d’enregistrement et d’utilisation de mauvaise foi, on peut déduire des affirmations du requérant comme quoi le défendeur doit nécessairement bénéficier de la renommée de la marque CARTE BLEUE qu’il entend par là faire valoir que l’enregistrement n’a été fait que dans le but de "capter" la renommée de la marque imitée – ce qui, à l’évidence, correspond à un comportement de mauvaise foi d’autant moins discutable que la marque est bien connue.
Quant à l’usage de mauvaise foi, il peut être caractérisé par le non-usage du nom de domaine enregistré, une telle caractérisation étant faite de longue date par les Commissions administratives puisqu’on la trouve déjà dans une des premières décisions rendues comme la décision Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003.
Vu les circonstances, la Commission administrative détermine que les noms de domaine litigieux ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi.
Au regard des éléments développés ci-dessus et conformément aux paragraphes 4.i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine
<telephoneroseaveccartebleue.com>;
<telephone-rose-carte-bleue.com>;
<telephonerosecartebleue.com>;
<telephone-rose-par-carte-bleue.com> ;
<telephoneroseparcartebleue.com>
soient transférés au Requérant.
Michel Vivant
Expert Unique
Le 12 mai 2011