Le Requérant est Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D Lec d'Ivry-sur-Seine, France, représenté par Inlex IP Expertise, France.
Le Défendeur est Monsieur Alexandre Timsit de Rambouillet, France.
Le litige concerne le nom de domaine <lapharmacieleclerc.com>.
L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est OVH.
Une plainte a été déposée par Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D Lec auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 24 février 2014. En date du 24 février 2014, le Centre a adressé une requête à OVH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 25 fevrier 2014, OVH a transmis sa vérification au Centre.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d'application"), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l'application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 4 mars 2014, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur.
Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 24 mars 2014. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse, partiellement en langue anglaise, le 21 mars 2014
En date du 4 avril 2014, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Louis-Bernard Buchman. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.
Le Requérant, qui est une association de droit français régie par la loi du 1er juillet 1901, est titulaire de nombreuses marques enregistrées tant auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle ("INPI") depuis 1985, s'agissant de marques déposées en France, qu'auprès de l'Office d'Harmonisation du Marché Interieur ("l'OHMI") s'agissant de marques communautaires, et notamment de la marque communautaire LECLERC enregistrée le 26 février 2004 sous le No. 002700656, suite à un dépôt du 17 mai 2002.
Poursuivant une stratégie de diversification de ses activités, notamment dans le domaine de la parapharmacie, le Requérant est en outre titulaire de la marque française No. 11 3865031 PARAPHARMACIE E. LECLERC, déposée le 7 octobre 2011.
Le Requérant a réservé de nombreux noms de domaines incluant sa marque LECLERC.
De surcroît, il s'est vu transférer en 2013 par des décisions de commissions administratives notamment les noms de domaine <mapharmacieleclerc.com> (Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D Lec v. Fabrice Guigonnat, Litige OMPI No. D2013-1676) et <pharmacieleclercdiscount.com> (Association des Centres Distributeurs E. Leclerc - A.C.D Lec v. Marie-Laure Neau/Anne-Charlotte Neau/Guillaume Neau/Philippe Neau, Litige OMPI No. D2013-1793).
Le Défendeur a procédé à l'enregistrement du nom de domaine litigieux le 13 juin 2013.
Le Défendeur est titulaire de la marque française LA PHARMACIE E. LECLERC déposée auprès de l'INPI le 16 avril 2013, enregistrée sous le No. 13 3 998 561, mais uniquement pour désigner des services de bureau de placement, suite à une décision de l'INPI du 10 janvier 2014 statuant sur une opposition du Requérant.
Faute qu'un accord ait été trouvé entre parties, la procédure a été engagée comme il a été rappelé plus haut.
(i) Le Requérant énonce tout d'abord que le nom de domaine litigieux porte atteinte à ses droits sur ses marques, en ce qu'il contient le signe distinctif LECLERC qu'il reproduit. Il précise aussi que ses marques sont exploitées et ont acquis une indiscutable notoriété. Il estime que le nom de domaine litigieux associe des termes génériques à une marque notoire de telle sorte qu'une confusion sera créée dans l'esprit du public qui pensera pouvoir rattacher le nom de domaine litigieux au "Mouvement Leclerc".
(ii) Il fait valoir que le Défendeur ne porte pas le nom "Leclerc", n'a reçu aucune autorisation pour exploiter le nom de domaine litigieux et que celui-ci renvoie à un site en construction, resté inactif depuis plusieurs mois, ce qui témoigne d'absence d'intérêt légitime du Défendeur.
(iii) Le Requérant trouve la preuve de la mauvaise foi du Défendeur au stade de l'enregistrement dans le fait que l'enregistrement du nom de domaine litigieux aurait été fait en présence de marques notoires et dont la connaissance par le Défendeur était d'autant plus certaine que le Défendeur est pharmacien et exploite une officine dans un centre commercial à enseigne Leclerc. Il voit dans la réservation faite une manœuvre destinée à limiter sa liberté d'action future si la législation venait à changer et à ternir sa réputation. Quant à l'usage de mauvaise foi, il se manifeste dans le fait que, des mois après son enregistrement, le nom de domaine litigieux n'est pas exploité, le Requérant soulignant qu'une détention passive peut constituer un usage de mauvaise foi.
(iv) Le Requérant demande que le nom de domaine litigieux lui soit transféré.
(i) Le Défendeur fait valoir sa bonne volonté, l'acharnement du Requérant contre lui, et précise que le fait que le nom de domaine litigieux renvoie à un site Internet dont le développement a été arrêté était lié à sa crainte que l'INPI donne raison au Requérant sur son opposition au dépôt par le Défendeur de la marque LA PHARMACIE E. LECLERC.
(ii) Il soutient qu'il est légitimement propriétaire de la marque LA PHARMACIE E. LECLERC et que son site Internet, auquel le nom de domaine litigieux renverra, communiquera uniquement sur l'activité de bureau de placement.
(iii) Il déclare vouloir faire un usage commercial loyal du nom de domaine litigieux et qu'il inscrira sur la page d'accueil de son site Internet une mention indiquant clairement que sa marque n'est d'aucune manière que ce soit liée au Requérant, permettant ainsi de lever toute ambiguïté.
(iv) Le Défendeur déclare aussi consentir à la demande du Requérant et être d'accord pour transférer / annuler le nom de domaine litigieux sur la base d'un protocole transactionnel, sans avoir besoin d'une décision d'une commission administrative. Toutefois, cette déclaration étant en anglais, il n'est pas certain que le Défendeur ait bien compris la portée de ce qu'il signait.
La Commission administrative est tenue d'appliquer le paragraphe 15(a) des Règles d'application qui prévoit que: "La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu'elle juge applicable".
Le paragraphe 10(a) des Règles d'application donne à la Commission administrative un large pouvoir de conduire la procédure administrative de la manière qu'elle juge appropriée, conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application, et elle doit aussi veiller à ce que la procédure soit conduite avec célérité (paragraphe 10(c) des Règles d'application).
En conséquence, l'Expert s'est attaché à vérifier, au vu des seuls arguments et pièces disponibles, si l'enregistrement et l'utilisation du nom de domaine litigieux portaient atteinte aux droits du Requérant et si le Défendeur pouvait justifier de droits sur ce nom de domaine.
Tout d'abord, conformément à nombre de décisions UDRP déjà rendues (Cf.,Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Accor contre Accors, Litige OMPI No. D2004-0998), il est établi que l'extension du nom de domaine, suffixe nécessaire pour l'enregistrement du nom de domaine, est sans incidence sur l'appréciation du risque de confusion, l'extension ".com" pouvant donc ne pas être prise en considération pour examiner la similarité entre les marques du Requérant et le nom de domaine litigieux.
En second lieu, le Requérant justifie avoir enregistré diverses marques LECLERC et PARAPHARMACIE E. LECLERC. Les Principes directeurs se bornent à exiger qu'une marque existe. La seule question que doit donc se poser la Commission administrative est de savoir si le nom de domaine litigieux est bien semblable aux marques en cause au point de prêter à confusion avec celles-ci au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.
La partie dominante et non générique du nom de domaine litigieux est le signe distinctif "leclerc".
La marque LECLERC qui jouit, en France notamment, d'une réelle notoriété, est totalement reproduite dans l'expression "lapharmacieleclerc".
La marque PARAPHARMACIE E. LECLERC est partiellement reproduite dans l'expression "lapharmacieleclerc".
Reste la question de savoir si le passage de "parapharmacie" à "pharmacie" dans le nom de domaine litigieux est de nature à créer une distance suffisante avec les marques du Requérant pour que le nom de domaine litigieux ne prête pas à confusion avec lesdites marques.
Cette différence ne saurait aux yeux de la Commission administrative conférer un autre sens au nom de domaine litigieux ni permettre de le distinguer des marques du Requérant.
La Commission administrative estime que le public en général et les internautes en particulier pourraient penser que le nom de domaine litigieux, qui allie "pharmacie" et "leclerc", est une offre spécifique du Requérant, renvoyant à un service du Requérant, ce nom de domaine litigieux étant similaire aux marques sur lesquelles le Requérant a des droits, au point de prêter à confusion (Cf., Citibank Privatkunden AG & Co. KGaA contre PrivacyProtect.org / N/A, indishi india mr.ugala, Litige OMPI No. D2010-1147; Credit Industriel et Commercial S.A., BanqueFédérative du Crédit Mutuel contre Headwaters MB, Litige OMPI No. D2008-1892; Banque Saudi Fransi v. ABCIB, Litige OMPI No. D2003-0656; Islamic Bank of Britain Plc contre Ifena Consulting, Charles Shrimpton, Litige OMPI No. D2010-0509; BPCE contre PrivacyProtect.org / Maksym Pastukhov, Litige OMPI No. D2010-1666).
Dans ces conditions, la Commission administrative constate que l'exigence du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est satisfaite.
Aucun élément du dossier ne révèle qu'avant le dépôt de la marque PARAPHARMACIE E. LECLERC du Requérant en 2011, le Défendeur avait utilisé le nom de domaine litigieux, ou un nom correspondant au nom de domaine litigieux, en relation avec une offre de bonne foi de produits ou services ou fait des préparatifs sérieux à cet effet.
Le Défendeur n'est en aucune manière affilié au Requérant et n'a pas été autorisé par ce dernier à utiliser ses marques ou à procéder à l'enregistrement d'un nom de domaine incluant l'élément distinctif "leclerc" desdites marques. Il n'est ni licencié, ni tiers autorisé à utiliser les marques, y compris à titre de nom de domaine.
L'enregistrement de plusieurs marques et de noms de domaine par le Requérant incluant l'élément distinctif "leclerc" est antérieur de plusieurs années à l'enregistrement du nom de domaine litigieux.
Le Défendeur étant une personne physique qui n'est pas connue sous le nom de domaine litigieux, la légitimité des intérêts du Défendeur sur le nom de domaine litigieux n'est pas établie (Cf., Owens Corning Fiberglas Technology, Inc. contre Hammerstone, Litige OMPI No. D2003-0903).
A quoi d'ailleurs, le Défendeur n'oppose aucun argument, se bornant à affirmer que l'usage qu'il entend faire du nom de domaine litigieux sera loyal.
Cependant, cet usage pourrait être contraire à un comportement loyal en matière commerciale, puisque le Défendeur ne cache pas dans sa Réponse et dans son annexe qu'il connaissait l'existence du Requérant et son activité de vente en ligne de produits de parapharmacie, au moment de sa réservation du nom de domaine litigieux.
Enfin, la Commission administrative note que le Défendeur ne fait pas actuellement un usage non commercial légitime du nom de domaine litigieux.
La Commission administrative est d'avis, dans ces conditions, que le Défendeur n'a pas de droits ou d'intérêts légitimes qui s'attachent au nom de domaine litigieux.
La mauvaise foi doit être prouvée dans l'enregistrement comme dans l'usage.
En ce qui concerne l'enregistrement de mauvaise foi, il est certain que le Défendeur, résidant en France, avait connaissance de la marque notoire LECLERC du Requérant.
La Commission administrative estime qu'il est hors de doute que le choix comme nom de domaine d'une marque indiscutablement notoire, qui a construit son image sur une politique consistant à casser les prix, en lui adjoignant précisément le terme "pharmacie", ne peut être le fruit du hasard.
En effet, le Requérant et la société Pharmacie Timsit, dont le Défendeur est le gérant, exercent une activité directement concurrente, puisqu'ils proposent la même gamme de produits de parapharmacie à une clientèle identique, le site Internet principal auquel renvoie le nom de domaine réservé par la société Pharmacie Timsit annonçant même "la parapharmacie à prix Leclerc".
Au moment où il a réservé le nom de domaine litigieux, le Défendeur, pharmacien de son état, non seulement connaissait comme tout un chacun en France les marques du Requérant, mais aussi ne pouvait ignorer par sa profession et la localisation géographique de son officine dans un centre commercial à l'enseigne LECLERC l'investissement du Requérant dans le secteur de la santé et le succès commercial du Requérant dans ce secteur.
Par ailleurs, le nom de domaine litigieux ne semble pas faire l'objet d'une exploitation.
La simple immobilisation d'un nom de domaine, sans raison d'être, peut être constitutive d'un usage de mauvaise foi.
Des décisions administratives UDRP ont déjà et à plusieurs reprises pu retenir que la détention d'un nom de domaine sans qu'un site actif y corresponde pouvait, dans certains cas, être considérée comme une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine (voir Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Christian Dior Couture SA v. Liage International Inc., Litige OMPI No. D2000-0098; ACCOR v. S1A, Litige OMPI No. D2004-0053 et Westdev Limited v. Private Data, Litige OMPI No. D2007-1903).
En conséquence, la Commission administrative conclut que le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
Conformément aux paragraphes 4.i) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine <lapharmacieleclerc.com> soit transféré au Requérant.
Louis-Bernard Buchman
Expert Unique
Le 23 avril 2014