Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Bouygues contre Laurent Bertrand

Litige No. D2016-1683

1. Les parties

Le Requérant est Bouygues de Paris, France, représenté par Nameshield, France.

Le Défendeur est Laurent Bertrand de Levallois Perret, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <bouygue-batiment.com> est enregistré auprès d’Ascio Technologies Inc. (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée en français par Bouygues auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 18 août 2016. En date du 18 août 2016, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 24 août 2016, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige et notant que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux est l’anglais. Le 24 août 2016, le Centre a envoyé un avis aux parties, invitant le Requérant à fournir soit la preuve d’un accord, entre le Requérant et le Défendeur, prévoyant que la procédure se déroule en français; soit déposer une plainte traduite en anglais; soit déposer une demande afin que le français soit la langue de la procédure. Le Défendeur a également été invité à fournir des arguments à cet égard. Le même jour, le Requérant a soumis une communication dans laquelle il a demandé que la procédure administrative se déroule en français. Le Défendeur n’a fourni aucun commentaire à cet égard.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 31 août 2016, une notification de la plainte en anglais et en français valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 20 septembre 2016. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 21 septembre, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 28 septembre 2016, le Centre nommait André R. Bertrand comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est la société française Bouygues, un groupe industriel diversifié fondé en 1952 par Francis Bouygues, qui depuis le décès de celui-ci est dirigé par son fils Martin Bouygues.

Le groupe Bouygues est structuré autour de trois activités: la construction avec Bouygues Construction, Bouygues Immobilier et Colas, les télécoms avec Bouygues Telecom et les médias à travers TF1.

En 2014, le chiffre d’affaires de Bouygues s’élevait à EUR 33,138 milliards, il était présent dans plus de 100 pays sur les 5 continents et emploie près de 128,000 collaborateurs dont 44% à l’international.

La société Bouygues est notamment la légitime propriétaire de:

- la marque de l’Union européenne BOUYGUES BATIMENT n° 1217223 enregistrée le 25 juillet 2000 pour viser les services de la classe 37;

- la marque internationale BOUYGUES BATIMENT n° 723515 enregistrée le 22 novembre 1999 pour viser également les services de la classe 37, désignant la Lituanie, l’Ouzbékistan, le Bélarus, la Chine, Cuba, la Tchéquie, la Hongrie, le Kazakhstan, la Lettonie, le Maroc, la Pologne, la Roumanie, la Fédération de Russie, l’Ukraine et le Viet Nam.

ainsi que du nom de domaine:

- <bouygues-batiment.com> enregistré le 29 novembre 2009.

Les marques BOUYGUES BATIMENT bénéficient également d’une certaine notoriété et d’une renommée, compte tenu de l’importance des activités et du chiffre d’affaires de la société Bouygues en France et à l’international.

Le nom de domaine litigieux a été enregistré le 26 juillet 2016 et renvoie à un site de l’hébergeur.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant affirme que le nom de domaine litigieux <bouygue-batiment.com> est très semblable à sa marque BOUYGUES BATIMENT et a été enregistré de mauvaise foi par le Défendeur qui ne dispose sur celui-ci d’aucun droit et aucun intérêt légitime.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

6.1. Langue de la procédure

En vertu des Principes directeurs et du paragraphe 11 des Règles d’application, la langue de la procédure est la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux, en l’espèce l’anglais. Néanmoins, il peut être dérogé à ce principe sur demande justifiée de l’une des parties et sans objection expresse de l’autre partie. Le Requérant a fort justement fait valoir que le Défendeur était localisé en France, et avait échangé avec des tiers des courriels en langue française. Il a pour ces raisons requis que la langue française soit appliquée à la présente procédure. Le Défendeur, invité par le Centre à se prononcer sur cette requête, n’a pas répondu. Conformément au paragraphe 11(a) des Règles d’application et au vu des circonstances de cette procédure, la Commission administrative, libre d’opter pour le choix de la langue anglaise ou du français, a décidé de faire droit à la demande du Requérant en optant pour le français.

6.2. Sur le fond

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant d’apporter la preuve que les trois conditions suivantes sont réunies cumulativement:

(i) Le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits; et

(ii) Le Défendeur ne dispose d’aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

(iii) Le nom de domaine litigieux est enregistré et utilisé de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

La Commission administrative note que le nom de domaine litigieux est également très semblable à la marque du Requérant, car l’omission ou le retrait de la lettre “s” du mot “Bouygues” dans le nom de domaine litigieux n’est pas de nature à écarter un risque de confusion entre la marque invoquée et le nom de domaine litigieux.

Le Requérant a établi ses droits sur la marque BOUYGUES BATIMENT. Depuis, une commission administrative, a déjà confirmé dans une précédente décision UDRP le droit de marque du Requérant (Voir Bouygues contre “SA Bouygues Batiment Ile De France”, Litige OMPI No. D2015-2307).

La commission administratrive dans la décision Hershey Fords corporation and Hershey Chocolate & Confectionary Corporation c. DRP Services (Hersheychocolateworld-Com-Dom), Litige OMPI No. D2003-0841 a effectivement jugé que le retrait du “s” final à la marque HERSHEY’S ne modifiait pas le fait qu’il restait semblable aux marques enregistrée de manière à porter confusion.

Cette décision UDRP est transposable au cas d’espèce car l’omission ou le retrait de la lettre “s” du mot “Bouygues” dans le nom de domaine litigieux n’est pas de nature à écarter un risque de confusion entre celui-ci et la marque invoquée.

En conséquence, le Requérant a établi au regard des dispositions du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle il a des droits.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le Requérant qui a établi ses droits sur la marque BOUYGUES BATIMENT invoque le bénéfice de la décision UDRP Croatia Airlines d.d. c. Modern Empire Internet Ltd., Litige OMPI No. D2003-0455 selon laquelle, lorsque le requérant a apporté une preuve prima facie que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, il appartient au Défendeur de justifier de ses droits ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

Ce principe a été retenu par plusieurs autres décisions (Neusiedler Aktiengesellschaft c. Kulkarni, Litige OMPI No. D2000-1769 et Dow Jones & Company, Inc., (First Complainant) and Dow Jones LP (Second Complainant) c. The Hephzibah Intro-Net Project Limited (Respondent), Litige OMPI No. D2000-0704) car on ne peut apporter la preuve d’un fait négatif.

Le Défendeur n’ayant pas répondu aux arguments du Requérant il est difficile de savoir s’il possède un droit ou un intérêt légitime sur le mot “Bouygues”, mais cela ne semble pas être cas puisqu’il ne s’agit pas de son nom patronymique.

En conséquence, le Requérant a établi au regard des dispositions du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs que le Défendeur ne dispose d’aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Compte tenu de la notoriété de la société Bouygues dans le domaine du bâtiment, il est évident que le Défendeur qui réside en France, ne pouvait pas ignorer les marques BOUYGUES BATIMENT et que de ce fait il a enregistré le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.

Même si le nom de domaine litigieux n’a pas été utilisé à ce jour, il pointe vers le site de l’hébergeur “www.one.com”, ce qui confirme qu’il a été déposé dans le but de porter préjudice au Requérant. Il est jurisprudence consante que l’utilisation passive d’un nom de domaine peut être considérée comme une untilisation de mauvaise foi (voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003).

En conséquence, le Requérant a établi au regard des dispositions du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs que le nom de domaine litigieux est enregistré et utilisé de mauvaise foi.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(a) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <bouygue-batiment.com> soit transféré au Requérant.

André R. Bertrand
Expert Unique
Le 6 Octobre 2016