Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Icade contre Stephane Leblanc / Promotion Icade / Luc Vicente

Litige No. D2018-2222

1. Les parties

Le Requérant est Icade, d’Issy-les-Moulineaux, France, représenté par De Gaulle Fleurance & Associés, France.

Les Défendeurs sont Stephane Leblanc, d’Issy les Moulineaux, France / Promotion Icade, d’Issy les Moulineaux, France / Luc Vicente, de Périgueux, France / Contact Privacy Inc. Customer 1242723380, de Toronto.

2. Noms de domaine et unités d’enregistrement

Les noms de domaine litigieux <eu-icade-promotion.com>, <icade-immobiliers.com> et <icade-promotion-sas.com> sont enregistrés auprès de Google Inc., GoDaddy.com, LLC et Cronon AG Berlin, Niederlassung Regensburg (ci-après désigné “les Unités d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par ICADE auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 2 octobre 2018. En date du 2 octobre 2018, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 2, 3 et 12 octobre 2018, les Unités d’enregistrement ont transmis leur vérification au Centre révélant l’identité des titulaires des noms de domaine litigieux et leurs coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Les Unités d’enregistrement ont révélé que la langue utilisée pour le contrat d’enregistrement du nom de domaine <icade-immobiliers.com> était l’anglais et que la langue utilisée pour le contrat d’enregistrement des noms de domaine <eu-icade-promotion.com> et <icade-promotion-sas.com> était le français. Le 15 octobre 2018, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives aux titulaires des noms de domaine litigieux telles que communiquées par les Unités d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte ou une plainte amendée. Le Requérant a déposé une plainte amendée ainsi qu’une plainte traduite en français le 19 octobre 2018.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 23 octobre 2018, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur.

Par courrier électronique en date du 7 novembre 2018, un tiers nommé comme Défendeur dans la plainte a informé le Centre que son nom avait été utilisé par le titulaire du nom de domaine litigieux pour masquer sa vraie identité. Le tiers prétend n’avoir aucun lien avec le titulaire du nom de domaine litigieux ni n’avoir aucun contrôle sur le nom de domaine litigieux.

Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 12 novembre 2018. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 13 novembre 2018, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 15 novembre 2018, le Centre nommait Alexandre Nappey comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

ICADE est un groupe français spécialisé dans la promotion et la construction immobilière. Créé en 1954, le Requérant a adopté la dénomination ICADE en 2003.

Le Requérant est titulaire de différentes marques constituées ou composées de la dénomination ICADE, parmi lesquelles :

- La marque verbale française ICADE déposée le 26 septembre 2002 sous le numéro 3 185 579 enregistrée pour des services des classes 35, 36, 37 et 42 (marque renouvelée);

- La marque semi-figurative française ICADE déposée le 10 février 2017 sous le numéro 4 336 987 enregistrée pour des services des classes 35; 36; 37; 38; 39; 41; 42 et 43.

Les noms de domaine litigieux ont été enregistrés respectivement :

- <icade-immobiliers.com> le 8 mai 2018,

- <icade-promotion-sas.com> le 24 mai 2018,

- <eu-icade-promotion.com> le 24 mai 2018.

Ils ne sont pas exploités à la date de la présente décision.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant rappelle tout d’abord qu’il détient sur la dénomination ICADE, qui correspond à sa dénomination sociale, des droits de marque, notamment en France.

Il soutient ensuite que les noms de domaine visés par la présente plainte sont tous similaires au point de prêter à confusion avec la marque ICADE.

En effet, les termes “immobiliers” pour le premier nom et “promotion”, “eu” et “sas” pour les deux autres sont insuffisants pour éliminer le risque de confusion entre les noms de domaine et les marques antérieures enregistrées par le Requérant.

Puis, le Requérant déclare qu’il n’a jamais autorisé une société extérieure au groupe ICADE à enregistrer ou utiliser ses marques, notamment à titre de nom de domaine.

En particulier, il produit les résultats d’une recherche effectuée sur des bases de données de marque qui confirment qu’aucune des personnes dont les coordonnées ont été révélées par les unités d’enregistrement des noms de domaine ne détient un droit ou un intérêt légitime qui se rattache aux noms de domaine litigieux.

Le Requérant soutient qu’au contraire les noms de domaine litigieux ont été vraisemblablement enregistrés dans le cadre d’une tentative d’escroquerie.

Enfin, le Requérant explique que les noms de domaine ont été enregistrés et sont exploités de mauvaise foi par le ou les Défendeurs. Outre le fait que la marque ICADE du Requérant est bien connue dans le secteur de la promotion et de la construction immobilière en France, le Requérant expose qu’il fait l’objet d’une vague d’escroquerie depuis le début de l’année 2018 par des personnes contactant certains de ses fournisseurs en se faisant passer pour la société ICADE grâce à des adresses de courrier électronique utilisant certains des noms de domaine litigieux.

Le Requérant fait état d’ailleurs de l’existence d’autres procédures extrajudiciaires contre des noms de domaine dans la zone nationale française “.fr” (procédures SYRELI) pour des faits similaires.

Le Requérant soutient que les noms de domaine litigieux sont utilisés de mauvaise foi et sollicite leur transfert.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

A. Langue de procédure

Le Requérant a déposé une plainte initiale en anglais. Considérant que la langue du contrat d’enregistrement des noms de domaine litigieux était l’anglais s’agissant du nom <icade-immobiliers.com> et le français pour les noms <eu-icade-promotion.com> et <icade-promotion-sas.com>, le Requérant a soumis une plainte amendée en français.

Conformément au paragraphe 11 des Règles d’application de l’UDRP, il appartient à la commission administrative de déterminer la langue applicable à la procédure sur la base de critères objectifs et dans un souci d’équité entre les parties.

En l’espèce, il apparaît que le Requérant et le ou les Défendeurs sont établis en France.

Les noms de domaine litigieux sont composés des marques du Requérant et de termes descriptifs de son domaine d’activité “immobiliers”, “promotion” et de l’acronyme “sas” qui pourrait correspondre à la forme juridique “société par actions simplifiée”. Tous ces termes sont en français.

Compte tenu de ces éléments et du fait que le Défendeur n’a pas contesté les allégations du Requérant, la Commission administrative estime que le choix du français est pertinent pour rendre une décision dans cette affaire.

B. Pluralité de Défendeurs

Les noms de domaine litigieux sont enregistrés au nom de trois titulaires différents d’après les informations révélées par les unités d’enregistrement auprès desquelles ils sont enregistrés.

En vertu du paragraphe 3(c) des Règles d’application “[l]a plainte peut porter sur plusieurs noms de domaine, à condition que ces noms de domaine soient enregistrés par le même titulaire”.

Le Requérant fournit dans sa plainte amendée des arguments démontrant que tous les noms de domaine sont sous contrôle commun et peuvent ainsi faire l’objet d’une même procédure.

Aucun doute n’est permis concernant les noms <eu-icade-promotion.com> et <icade-promotion-sas.com> dans la mesure où ils ont été enregistrés le même jour (24 mai 2018) et surtout avec la même adresse de courrier électronique de titulaire.

La Commission administrative estimait de prime abord que la preuve des liens entre ce titulaire et celui qui a déposé <icade-immobiliers.com> n’était pas rapportée dans la mesure où aucun élément commun ne ressortait des extraits WhoIs communiqués par les unités d’enregistrement.

Cependant, il convient de tenir compte des autres procédures extrajudiciaires engagées devant l’AFNIC par le Requérant qui produit des éléments d’information intéressants : ainsi, il apparaît que le titulaire du nom de domaine litigieux <icadepromotion.fr> utilise comme adresse de courrier électronique « [...]@icade-immobiliers.com » sur la base d’un des noms de domaine visés par la présente procédure.

Vu les soumissions du Requérant avec les preuves en appui, la Commission considère que, même s’il y a plusieurs Défendeurs, tous les noms de domaine litigieux sont sous contrôle commun et sont utilisés à des fins délictuelles.

En l’espèce, la Commission considère que les noms de domaine litigieux sont sous contrôle commun et peuvent ainsi faire l’objet d’une même procédure.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Selon le paragraphe 4(a)(i), la requérante doit démontrer que les noms de domaine litigieux sont identiques ou semblables au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle la requérante a des droits.

En l’espèce, il est établi que le Requérant ICADE est titulaire de droits sur la marque ICADE en France.

Il est largement admis que le fait de reprendre à l’identique la marque de la requérante dans un nom de domaine peut suffire à établir que ce nom de domaine est identique ou similaire au point de prêter à confusion avec la marque sur laquelle la requérante a des droits.

Cela vaut également lorsque la marque constitue l’élément prédominant du nom de domaine litigieux, et que l’élément ajouté constitue un terme descriptif.

C’est bien le cas en l’espèce puisque l’adjonction des termes “immobiliers” d’une part, “promotion” d’autre part et des abréviations “eu” et “sas”, n’est pas de nature à écarter le risque de confusion résultant de la reprise pure et simple par les Défendeurs de la marque ICADE comme élément principal des noms de domaine litigieux.

Voir sur ce point LIDL Stiftung & Co. KG (LIDL International), SNC LIDL (LIDL France) contre nom anonymisé, nom anonymisé, nom anonymisé, Lydia Perez, Litige OMPI No. D2017-1548.

Au vu de ce qui précède, la Commission administrative considère que la condition posée par le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est remplie.

B. Droits ou intérêts légitimes

Les Défendeurs ne sont pas connus sous la dénomination ICADE et n’ont reçu aucune autorisation d’usage de celle-ci de la part du Requérant.

En revanche, il est établi qu’ils ont utilisé les noms de domaine litigieux pour créer différentes adresses email fictives telles que « [...]@icade-immobiliers.com » à l’abri de fausses identités à partir desquelles ils se sont fait passer pour le Requérant.

Cette utilisation ne correspond ni à une offre de biens ou de services de bonne foi ni à une utilisation non commerciale légitime ou loyale des noms de domaine litigieux.

Voir sur ce point :

EUTELSAT SA contre Jérôme Mario, Litige OMPI No. D2017-1018.

Par conséquent, la Commission administrative estime que le Requérant a établi que les Défendeurs n’ont aucun droit sur les noms de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache au sens du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

En application du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, le Requérant est tenu de prouver que le Défendeur a enregistré et utilisé le nom de domaine litigieux de mauvaise foi. Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs donne des exemples non exhaustifs de comportements susceptibles de constituer une telle preuve, tels que :

(i) les faits montrent que le Défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine litigieux essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au Requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine litigieux;

(ii) le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d’une telle pratique;

(iii) le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent; ou

(iv) en utilisant ce nom de domaine litigieux, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son espace ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.

En l’espèce, les noms de domaine ne sont pas actifs mais les Défendeurs ont utilisé tout ou partie d’entre eux comme support d’un service de messagerie et un faisceau d’éléments concordants permet de conclure à un comportement de mauvaise foi du Défendeur :

- La reproduction au sein des noms de domaine litigieux de la marque du Requérant dans le but d’usurper l’identité du Requérant à des fins frauduleuses. Un tel usage frauduleux ressort clairement du courrier électronique adressé au fournisseur du Requérant à partir de l’adresse “[...]@icade-immobiliers.com”.

Voir sur ce point :

Bunsha c. Lionel Olivera, Litige OMPI No. D2013-0619. “La référence frauduleuse au Requérant dans les emails adressés via l’adresse électronique hébergée par le nom de domaine litigieux, démontre la parfaite connaissance des activités du Requérant par le Défendeur, celui-ci ne pouvant alors prétendre faire une offre de bonne foi.”

- La réitération du comportement litigieux des Défendeurs démontrée par le Requérant au travers de la réservation par les Défendeurs des deux autres noms de domaine qui reproduisent la marque ICADE;

- L’absence de réponse des Défendeurs à la présente plainte afin de contester les allégations du Requérant.

Ce faisceau d’éléments concordants est suffisant à la Commission administrative, pour considérer que les noms de domaine litigieux <icade-immobiliers.com>, <eu-icade-promotion.com> et <icade-promotion-sas.com> ont été réservés et sont exploités de mauvaise foi en vue de générer un risque de confusion avec la marque du Requérant et ce à des fins d’exploitation frauduleuse.

En conséquence, la Commission administrative est d’avis qu’il est satisfait à la troisième condition posée au paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que les noms de domaine litigieux <eu‑icade-promotion.com>, <icade-immobiliers.com> et <icade-promotion-sas.com> soient transférés au Requérant.

Alexandre Nappey
Expert Unique
Le 10 décembre 2018