Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Micromania Group contre Baqio Jean, baqio.com

Litige No. D2020-2697

1. Les parties

Le Requérant est Micromania Group, France, représenté par AARPI Scan Avocats, France.

Le Défendeur est Baqio Jean, baqio.com, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <micromania-zing.online> est enregistré auprès de Tucows Inc. (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Micromania Group auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 15 octobre 2020. En date du 15 octobre 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 15 octobre 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 16 octobre 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre une plainte amendée. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 20 octobre 2020.

L’Unité d’enregistrement a aussi indiqué que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux est l’anglais. Le 16 octobre 2020, la plainte ayant été déposée en français, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant, l’invitant à fournir la preuve suffisante d’un accord entre les Parties, la plainte traduite en anglais, ou une demande afin que le français soit la langue de la procédure. Le 20 octobre 2020, le Requérant a confirmé que sa plainte contenait une demande afin que le français soit la langue de la procédure.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 2 novembre 2020, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur.

Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 22 novembre 2020. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 24 novembre 2020, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 1er décembre 2020, le Centre nommait Louis-Bernard Buchman comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est une société fondée en France en 1983, commercialisant des jeux vidéo, des consoles, PC et consoles portables, dans des magasins en France et par vente en ligne. Le Requérant, devenu en 2008 filiale de la société américaine GameStop, emploie plus de 1.500 personnes en France au sein de 440 succursales et réalise un chiffre d’affaires annuel de plus de 500 millions d’euros. Il est l’un des leaders mondiaux du marché de la distribution des jeux vidéo, après avoir fusionné en 2017 avec Zing Pop Culture. Tous ses magasins passeront en 2022 sous l’enseigne unique Micromania-Zing.

Le Requérant est titulaire de différentes marques, notamment les marques françaises verbale No. 4398687 et semi-figurative No. 4398693, incluant les éléments “micromania” et “zing”, enregistrées le 23 octobre 2017 (ci-après ensemble désignées : “la Marque”).

En outre, le Requérant est titulaire de plusieurs noms de domaine incorporant la Marque, dont <micromania-zing.com> enregistré le 19 octobre 2017 et <micromania-zing.fr> enregistré le 20 octobre 2017.

Le Défendeur est Baqio Jean, baqio.com, dont l’adresse renseignée est située en France.

Le nom de domaine litigieux a été enregistré en date du 5 octobre 2020.

Au moment du dépôt de la plainte, le nom de domaine litigieux renvoyait les Internautes vers un site reproduisant à l’identique l’interface du site internet officiel du Requérant, reproduisant son logo MICROMANIA ZING et affichant une photo d’un point de vente physique du Requérant. A la date à laquelle la présente décision est rendue, le nom de domaine litigieux est inactif.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

(i) Le Requérant dispose d’un droit sur la Marque.

(ii) Le nom de domaine litigieux contient la Marque.

(iii) Le nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits dont est titulaire le Requérant, en ce qu’il imite la Marque, et est susceptible de créer un risque de confusion dans l’esprit des internautes en laissant croire que le nom de domaine litigieux est lié au Requérant.

(iv) Le Défendeur n’a jamais été affilié au Requérant ni autorisé par lui à utiliser la Marque à quelque titre que ce soit. Le Défendeur ne peut justifier d’aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, le fait de se faire passer pour le Requérant pouvant en outre lui permettre de récupérer les informations personnelles des utilisateurs et manifestant une intention frauduleuse allant à l’encontre de tout droit ou intérêt légitime.

(v) Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux et l’utilise de mauvaise foi.

(vi) Le Requérant demande que le nom de domaine litigieux lui soit transféré.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

6.1. Aspects procéduraux – langue de la procédure

L’Unité d’enregistrement a indiqué que le contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux était en langue anglaise. En ce qui concerne la langue de la procédure, le Requérant a demandé que la langue de la procédure soit le français, compte tenu des circonstances de l’espèce et en particulier du fait que le site vers lequel renvoyait le nom de domaine litigieux était accessible uniquement en français, ce qui laisse présumer d’une compréhension suffisante de la langue française par le Défendeur, lequel est domicilié en France.

Il appartient donc à la Commission administrative de se prononcer sur la langue de la procédure. Le Défendeur ne s’est pas opposé à cette demande. La Commission administrative, estimant que choisir une autre langue de procédure générerait des frais de traduction et des délais, que le Défendeur ne s’est pas opposé à ce que la langue de la procédure soit le français, et faisant application des dispositions du paragraphe 11(a) des Règles d’application et de son pouvoir d’appréciation, décide que le français sera la langue de la procédure.

Par ailleurs, il est rappelé que la Commission administrative est tenue d’appliquer le paragraphe 15(a) des Règles d’application qui prévoit que : “La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux principes directeurs, aux présentes règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicable.”

Le paragraphe 10(a) des Règles d’application donne à la Commission administrative un large pouvoir de conduire la procédure administrative de la manière qu’elle juge appropriée, conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application, et elle doit aussi veiller à ce que la procédure soit conduite avec célérité (paragraphe 10(c) des Règles d’application).

En conséquence, la Commission administrative s’est attachée à vérifier, au vu des seuls arguments et pièces disponibles, si le nom de domaine était identique ou similaire et prêtant à confusion avec la marque du Requérant, si le Défendeur pouvait justifier de droits ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, et si l’enregistrement et l’utilisation de ce nom de domaine étaient de mauvaise foi.

Selon le paragraphe 14(b) des Règles d’application, la Commission administrative a le pouvoir de tirer du défaut du Défendeur toutes conclusions qu’elle juge appropriées.

Au cas présent, la Commission administrative constate que le Défendeur n’a réfuté aucun des faits allégués par le Requérant.

En particulier, le Défendeur, par son défaut, n’a fourni à la Commission administrative aucun des éléments prévus par les paragraphes 4(b) et (c) des Principes directeurs qui lui aurait permis de conclure que le Défendeur jouit de droits ou justifie d’intérêts légitimes concernant le nom de domaine litigieux, ou qu’il a agi de bonne foi en enregistrant et utilisant le nom de domaine litigieux.

6.2. Vérification que les conditions cumulatives du paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont réunies en l’espèce

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Dans le cadre de l’analyse de la première condition du paragraphe 4(a), la Commission administrative doit se contenter de constater si le droit de marque du Requérant existe ou non.

Au vu des pièces versées au dossier, la Commission administrative constate que le Requérant justifie de droits exclusifs sur les éléments “micromania” et “zing”, à titre de marque enregistrée.

Demeure alors la question de la comparaison entre la Marque d’une part et le nom de domaine litigieux d’autre part. Or, en ce qui concerne l’identité ou la similitude de la Marque par rapport au nom de domaine litigieux, ce dernier reproduit la Marque dans son intégralité, la seule différence consistant en un tiret entre “micromania” et “zing”, suivi de l’extension “.online”.

Cette différence ne saurait aux yeux de la Commission administrative conférer un autre sens au nom de domaine litigieux ni permettre de le distinguer de la Marque.

Il est établi par ailleurs que les extensions de nom de domaine (telles que “.online”), nécessaires pour leur enregistrement, sont généralement sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion, les extensions pouvant donc ne pas être prises en considération pour examiner la similarité entre la Marque du Requérant et le nom de domaine litigieux, conformément à nombre de décisions UDRP déjà rendues (voir section 1.11 de la Synthèse des avis des commissions administratives sur certaines questions UDRP, troisième édition (« Synthèse OMPI 3.0») .

La Commission administrative estime que le public en général et les Internautes en particulier pourraient penser que le nom de domaine litigieux renvoie au Requérant, ce nom de domaine litigieux étant similaire à la Marque sur laquelle le Requérant a des droits, au point de prêter à confusion (voir Citibank Privatkunden AG & Co. KGaA c. PrivacyProtect.org / N/A, indishi india mr.ugala, Litige OMPI No. D2010-1147; Credit Industriel et Commercial S.A., Banque Fédérative du Crédit Mutuel c. Headwaters MB, Litige OMPI No. D2008-1892; Banque Saudi Fransi c. ABCIB, Litige OMPI No. D2003-0656; Islamic Bank of Britain Plc c. Ifena Consulting, Charles Shrimpton, Litige OMPI No. D2010-0509; BPCE c. PrivacyProtect.org / Maksym Pastukhov, Litige OMPI No. D2010-1666).

Dans ces conditions, la Commission administrative constate que l’exigence du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est satisfaite.

B. Droits ou intérêts légitimes

Il est admis que, s’agissant de la preuve d’un fait négatif, une commission administrative ne saurait se montrer trop exigeante vis-à-vis d’un requérant. Lorsqu’un requérant a allégué le fait que le défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine, il incombe au défendeur d’établir le contraire, puisque lui seul détient les informations nécessaires pour ce faire. S’il n’y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes (voir section 2.1 de la Synthèse OMPI 3.0)

Aucun élément du dossier ne révèle qu’avant la naissance du litige, le Défendeur ait utilisé le nom de domaine litigieux, ou un nom correspondant au nom de domaine litigieux, en relation avec une offre de bonne foi de produits ou services ou qu’il ait fait des préparatifs sérieux à cet effet.

Le Défendeur n’est en aucune manière affilié au Requérant et n’a pas été autorisé par ce dernier à utiliser la Marque ou à procéder à l’enregistrement d’un nom de domaine incluant la Marque.

Avant la suspension du site Internet suite aux notifications du Requérant, le nom de domaine litigieux renvoyait vers un site de commerce électronique proposant la commande de jeux vidéo à prix réduits, ces produits étant précisément ceux proposés à la vente sur le site officiel du Requérant. Il reprenait en outre l’identité visuelle de celui-ci en reproduisant ses marques, ses couleurs et sa composition. Cette utilisation du nom de domaine litigieux ne peut être assimilée à une offre de services de bonne foi, au vu du paragraphe 4(c)(i) des Principes directeurs.

Par ailleurs, le mutisme conservé par le Défendeur, qui a choisi de ne pas répondre à la plainte dans la présente procédure, ne permet pas de penser qu’il ferait un usage légitime et non commercial du nom de domaine litigieux.

Enfin, le Défendeur ayant délibérément dissimulé son identité, aucun intérêt légitime relatif au nom de domaine litigieux n’est manifeste de sa part.

La Commission administrative note que le nom de domaine litigieux est utilisé afin de permettre la commission de fraudes au détriment du Requérant.

Dans ces conditions, la Commission administrative est d’avis que le Défendeur n’ayant pas de droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache, l’exigence du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est satisfaite.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

La mauvaise foi doit être prouvée dans l’enregistrement comme dans l’usage.

En ce qui concerne l’enregistrement de mauvaise foi, la bonne foi du Défendeur lors de l’enregistrement ne ressort d’aucun document soumis au dossier.

La Commission administrative estime que le choix comme nom de domaine d’une marque dont le caractère distinctif de l’élément “micromania” a déjà été reconnu par deux décisions rendues sous les Principes UDRP (voir Micromania Group c. Contact Privacy Inc. Customer 0152848115 / Cyprien Regulski, Micromania-france, Litige OMPI No. D2018-2452 et Micromania Group c. Contact Privacy Inc. Customer 0153584320 / Elodie Guet, Micromania Zing, Litige OMPI No. D2019-1342), en y insérant un tiret suivi de l’élément “zing”, ne peut être le fruit d’une simple coïncidence.

De surcroît, le Défendeur a effectué cette réservation dans le but manifeste de se faire passer pour le Requérant en les renvoyant vers un site présentant une grande similitude avec le site du Requérant, et pouvant être utilisé à des fins frauduleuses par hameçonnage.

Dans ces circonstances, la Commission administrative estime plus qu’improbable qu’au moment où il a enregistré le nom de domaine litigieux, le Défendeur ait pu ne pas avoir connaissance de la Marque et a par conséquent enregistré le nom de domaine de mauvaise foi.

Par ailleurs, nombre de décisions UDRP déjà rendues ont établi que la dissimulation délibérée d’une identité et de contact d’information peut dans certaines circonstances être indicative de mauvaise foi (voir TTT Moneycorp Limited c. Diverse Communications, Litige OMPI No. D2001-0725, et Schering Corporation c. Name Redacted, Litige OMPI No. D2012-0729). Au cas présent, le Défendeur a volontairement caché son identité et n’a produit aucune preuve d’usage de bonne foi du nom de domaine litigieux. La Commission administrative note également que bien que recourir à une société de service d’anonymisation pour cacher l’identité d’un titulaire d’enregistrement ne permet pas en soi de conclure à un enregistrement et un usage de mauvaise foi (voirTrinity Mirror Plc and MGN Ltd. c. Piranha Holdings, Litige OMPI No. D2008-0004), le fait que le Défendeur ait eu recours à un tel service a empêché le Requérant de le contacter.

En outre, l’usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux par le Défendeur peut aussi résulter, en certaines circonstances, du fait que son usage de bonne foi ne soit d’aucune façon plausible (voir Audi AG c. Hans Wolf, Litige OMPI No. D2001-0148), compte tenu de la spécificité de l’activité du Requérant.

Enfin, certaines commissions administratives ont même estimé que dans certaines circonstances, les personnes qui réservent des noms de domaine ont l’obligation de s’abstenir d’enregistrer et d’utiliser un nom de domaine qui soit identique ou similaire à une marque détenue par d’autres, et qu’enfreindre notamment les dispositions du paragraphe 2 des Principes UDRP, qui dispose que : “En demandant l’enregistrement d’un nom de domaine ou le maintien en vigueur ou le renouvellement d’un enregistrement de nom de domaine, vous affirmez et nous garantissez que … b) à votre connaissance, l’enregistrement du nom de domaine ne portera en aucune manière atteinte aux droits d’une quelconque tierce partie …”, peut être constitutif de mauvaise foi.

La Commission administrative conclut qu’en détenant et utilisant le nom de domaine litigieux à des fins frauduleuses et en ne se manifestant pas dans la présente procédure administrative, le Défendeur a procédé à une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.

Il en résulte que les trois éléments prévus au paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont cumulativement réunis.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <micromania-zing.online> soit transféré au Requérant.

Louis-Bernard Buchman
Expert Unique
Le 7 décembre 2020