Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Crédit Industriel et Commercial S.A. contre John, Finanfast

Litige No. D2021-0259

1. Les parties

Le Requérant est Crédit Industriel et Commercial S.A., France, représenté par MEYER & Partenaires, France.

Le Défendeur est John, Finanfast, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <cicbk.online> est enregistré auprès de Hostinger, UAB (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par le Crédit Industriel et Commercial S.A. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 28 janvier 2021. En date du 28 janvier 2021, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 29 janvier 2021, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 2 mars 2021, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre une plainte amendée. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 4 mars 2021.

L’Unité d’enregistrement a aussi indiqué que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux était l'anglais. Le 2 mars 2021, la plainte ayant été déposée en français, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant, l’invitant à fournir la preuve suffisante d’un accord entre les Parties, la plainte traduite en anglais, ou une demande afin que le français soit la langue de la procédure. Le Requérant, le 4 mars 2021, a indiqué qu’il avait développé un argumentaire spécifique sur ce sujet dans sa plainte, comportant une demande à la Commission que la langue de procédure soit le français, appuyée et justifiée par des éléments factuels. Le Défendeur n’a pas soumis d’observations.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée répondaient bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 9 mars 2021, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur en français et en anglais. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 29 mars 2021. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 31 mars 2021, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 27 avril 2021, le Centre nommait Michel Vivant comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant, Crédit Industriel et Commercial S.A (en abrégé CIC) est titulaire de plusieurs marques CIC: une marque française n° 1358524 enregistrée le 10 juin 1986 et une marque de l’Union Européenne n° 005891411 enregistrée le 10 mai 2007. Il est également titulaire d’une marque internationale CIC BANQUES n° 585099 enregistrée le 10 avril 1992.

Le nom de domaine litigieux <cicbk.online> a été enregistré le 4 janvier 2021. Le Défendeur utilise le nom de domaine litigieux pour attirer les Internautes vers un site offrant prétendument des services de prêts et de crédits bancaires aux particuliers ainsi qu’aux professionnels.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant, qui insiste sur le caractère notoire des marques CIC, plusieurs fois reconnu par les Commissions administratives de l’OMPI, et souligne qu’il utilise également ses marques en tant que nom de domaine, met en avant que ses marques sont entièrement reproduites dans le nom de domaine litigieux. Il ajoute que, selon la jurisprudence même des Commissions administratives, l’adjonction d’un terme générique ou descriptif à une marque est jugée comme n’écartant pas le risque de confusion entre la marque et le nom de domaine litigieux. Il considère que l’adjonction des lettres “bk” qui suggèrent une activité bancaire, renforce même le risque de confusion. Il en résulte, dit-il, que le nom de domaine litigieux, enregistré par le Défendeur, est identique ou du moins similaire au point de prêter à confusion avec les marques CIC.

Le Requérant affirme qu’il n’existe aucune relation de quelque ordre que ce soit entre le Défendeur et lui pouvant justifier l’enregistrement fait. Le Défendeur n’est pas un agent ni un salarié du Requérant ou de l’une des sociétés liées. Par ailleurs, le Requérant déclare n’avoir accordé, “que (ce) soit au Défendeur ou à qui que ce soit, aucune autorisation ou licence d’exploitation aux fins d’enregistrer ou d’utiliser le nom de domaine litigieux”. Le Requérant ajoute que “le Défendeur utilise le nom de domaine litigieux pour attirer les Internautes vers un site offrant prétendument des services de prêts et de crédits bancaires aux particuliers ainsi qu’aux professionnels”, au nom d’une société inexistante. De tout cela se déduit selon le Requérant que le Défendeur ne jouit d’aucun droit ou intérêt légitime attaché au nom de domaine litigieux.

Enfin, le Requérant, soulignant à nouveau le caractère notoire de ses marques, conclut que la confusion a été délibérément provoquée par le Défendeur, en vue d’en tirer profit. Il met en avant la “présomption de mauvaise foi” reconnue en pareil cas par les Commissions administratives. Il ajoute que l’utilisation d’un service d’anonymisation (comme tel est le cas en l’espèce) constitue un indice supplémentaire de la mauvaise foi du Défendeur. Enfin, s’agissant de l’usage fait du nom de domaine litigieux, le Requérant pointe le fait que le nom de domaine litigieux renvoie les Internautes à un site mentionnant la marque du Requérant, faisant explicitement référence à la banque en ligne CIC et “proposant des services identiques ou à tout le moins très similaires à celui-ci”. Il ajoute que “lors de la navigation sur le site https://cicbk.online/, l’Internaute est redirigé vers une page de connexion sécurisée, qui pourrait être, dans le présent contexte, une tentative de collecte de coordonnées personnelles, à des fins frauduleuses”. Sur la base de tous ces éléments, le Requérant conclut à un enregistrement et un usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.

6. Discussion et conclusions

A. Langue de la procédure

A titre préliminaire, bien que la langue d’enregistrement du nom de domaine litigieux ait été l’anglais, le Requérant a formé expressément une demande tendant à ce que le français soit la langue de la procédure comme il est celle de la plainte. Il appartient donc à la Commission administrative de se prononcer “compte tenu des circonstances” selon les dispositions du paragraphe 11 des Règles d’application.

Or, le Requérant est une entreprise française, la marque CIC est notamment déposée et protégée en France et le nom de domaine litigieux active un site rédigé en français, copie du site officiel du Requérant et qui se présente comme une entité bancaire basée en Belgique, dans sa partie francophone. Tout concourt donc à faire considérer le français comme la langue “naturelle” du litige et c’est à bon droit que le Requérant tire de ces différents éléments la conclusion d’une “évidente connaissance de la langue française par le Défendeur”.

Le Défendeur qui a choisi de faire défaut n’a en conséquence rien objecté à la demande du Requérant (sur ce point voir Sopra Group contre David Jordan, Litige OMPI No. D2014-0277; ou encore NC Numericable contre Registration private, Domains By Proxy, LLC / Annette Barbier, Litige OMPI No. D2015-0186).

Il sera donc fait droit à celle-ci quant à l’usage du français.

B. Identité ou similitude prêtant à confusion

Comme il a été indiqué plus haut, le Requérant est titulaire de plusieurs marques CIC ainsi que d’une marque CIC BANQUES.

Le nom de domaine litigieux <cicbk.online> reprend donc dans leur entièreté les marques CIC du Requérant. Aussi, l’observation pertinente du Requérant selon laquelle l’adjonction des lettres “bk”, suggérant une activité bancaire, renforce même le risque de confusion, n’est-elle pas nécessaire pour juger le nom de domaine litigieux semblable aux marques reproduites, dès lors que la reprise d’une marque dans son entièreté est jugée par les Commissions administratives de l’OMPI comme la manifestation forte d’une pratique de cybersquatting en vertu des Principes directeurs (voir Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux Principes UDRP, troisième édition, sections 1.7 et 1.8).

En conséquence, la Commission administrative considère que le nom de domaine litigieux est semblable aux marques du Requérant au point de prêter à confusion, au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.

C. Droits ou intérêts légitimes

Rien ne permet de penser que le Défendeur puisse justifier l’usage des termes “cic”. Il n’est pas un “agent” ni un salarié du Requérant ou de l’une des sociétés liées et le Requérant déclare ne lui avoir accordé aucune autorisation ou licence d’exploitation aux fins d’enregistrer ou d’utiliser le nom de domaine litigieux – ce qui, à défaut de démonstration contraire par le Défendeur, doit être retenu comme exact comme cela a déjà été jugé (ainsi Croatia Airlines d.d. v. Modern Empire Internet Ltd., Litige OMPI No. D2003-0455; ou Boursorama S.A. contre Pharpentier Gildas, Litige OMPI No. D2016-2248).

Par ailleurs, le nom de domaine litigieux pointe vers un site qui est manifestement l’imitation du site authentique du Requérant, ce qui, ayant tous les traits d’une pratique frauduleuse, interdit de conclure à l’existence d’un intérêt légitime chez le Défendeur.

La Commission administrative observe en outre que, si le Défendeur avait effectivement des droits ou intérêts légitimes à faire valoir, il aurait été bien simple pour lui de ne pas faire défaut et de produire ses arguments.

Aussi la Commission administrative estime-t-elle que le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache au sens du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

D. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le Requérant fait justement valoir que sa marque est une marque notoire, reconnue comme telle par plusieurs décisions des Commissions administratives en vertu des Principes directeurs (par exemple Crédit Industriel et Commercial S.A. v. Mao Adnri, Litige OMPI No. D2013-2143). Le point n’est pas discutable. Ainsi est-il hors de doute que le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux en toute connaissance de cause et donc en méconnaissance des droits du Requérant.

Par ailleurs, le nom de domaine litigieux dirige les Internautes vers un site reproduisant la marque du Requérant et ayant fallacieusement toutes les apparences d’un site bancaire relevant du Requérant. Il y a là des pratiques qu’on peut tenir pour illicites et qui peuvent déboucher sur des agissements frauduleux, notamment de type phishing, comme l’avance le Requérant. Elles sont, en tout cas, exclusives de toute idée de bonne foi. La Commission administrative ne peut que rejoindre sur ce point ce qui a déjà été jugé par une précédente Commission estimant que l’utilisation d’une société totalement fictive constitue “un autre aspect démontrant […] la mauvaise foi du Défendeur” (Confédération Nationale du Crédit Mutuel contre Whois Agent, Whois Privacy Protection Service, Inc. / Justo AdjatanLitige, Litige OMPI No. D2016-2188).

Ainsi, pour la Commission administrative, l’enregistrement comme l’usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux au sens du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs, sont caractérisés.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <cicbk.online> soit transféré au Requérant.

Michel Vivant
Expert Unique
Le 7 mai 2021