La Requérante est Crédit Agricole S.A. de Montrouge, France, représentée par Nameshield, France.
La partie adverse (ci-après, le Défendeur) est Marcos Marcus de Cotonou, Bénin.
Le différend concerne le nom de domaine <credit-agricole-groupe.ch>.
Une demande a été déposée par Crédit Agricole S.A. auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après, le «Centre») en date du 15 septembre 2016 par courrier électronique et le 20 septembre 2016 sur support papier. En date du 15 septembre 2016, le Centre a adressé une requête au registre du .ch et du .li SWITCH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la Requérante. En date du 16 septembre 2016, SWITCH a confirmé que le Défendeur est bien le détenteur du nom de domaine et a transmis ses coordonnées.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux exigences des Dispositions relatives à la procédure de règlement des différends pour les noms de domaine .ch et .li (ci-après, les «Dispositions») adoptées par SWITCH, le 1er mars 2004.
Conformément au paragraphe 14 des Dispositions, le 20 septembre 2016, une transmission de la demande valant ouverture de la présente procédure, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 15(a) des Dispositions, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 10 octobre 2016.
Le Défendeur n'a déposé aucune réponse à la demande et n'a exprimé d'aucune autre façon sa volonté de prendre part à une audience de conciliation conformément au paragraphe 15(d) des Dispositions. Suite à une communication du Centre, la Requérante a demandé la continuation de la procédure le 11 octobre 2016.
En date du 21 octobre 2016, le Centre a nommé dans le présent différend comme expert Theda König-Horowicz. L'expert constate qu'elle a été désignée conformément aux Dispositions. L'expert a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 4 des Dispositions.
La Requérante a son siège principal en France et est l'une des plus grandes banques d'Europe. Elle a été établie en 1885 et assiste les projets de ses clients en France et à l'international dans tous les domaines de la banque et métiers associés.
La Requérante dispose d'une présence locale en Suisse où elle opère notamment sous son nom «Crédit Agricole» ou sous le nom «CA Indosuez»; elle détient notamment plusieurs agences à Genève, Zurich et Lausanne.
La Requérante est titulaire de plusieurs enregistrements en Suisse pour sa marque CRÉDIT AGRICOLE, en particulier:
- Marque Suisse CA CRÉDIT AGRICOLE No 2P-425521, en classes 35 et 36, du 17 mai 1996;
- Extension en Suisse de la marque internationale CA CRÉDIT AGRICOLE No 525634, en classes 16, 35 et 36, du 13 juillet 1988.
La Requérante est également titulaire de nombreux noms de domaine qui comprennent les termes distinctifs «Crédit Agricole», y compris le nom de domaine <credit-agricole.ch> qui a été enregistré le 22 août 2000.
Le nom de domaine litigieux a été enregistré le 21 juillet 2016 par le Défendeur. Il n'est pas utilisé en connexion avec un site Internet.
La Requérante indique qu'elle détient des enregistrements de marques suisses comprenant CREDIT AGRICOLE et qu'elle dispose dès lors d'un droit attaché à un signe distinctif selon le droit suisse pour ce terme. Elle souligne qu'elle est aussi connue en Suisse par le biais de ses agences présentes localement. Par ailleurs, elle invoque la similarité entre sa marque et le nom de domaine litigieux au point de prêter à confusion.
La Requérante estime en outre que l'enregistrement du nom de domaine litigieux, nom de domaine au demeurant inactif, est déloyal au sens de l'article 2 de la Loi contre la concurrence déloyale (ci-après, LCD) d'une part, parce que le Défendeur n'a pris aucune mesure pour que le nom de domaine litigieux se distingue suffisamment de la marque protégée de la Requérante et d'autre part, en raison de l'absence de l'intérêt légitime du Défendeur à un tel enregistrement.
Le Défendeur n'a pas répondu à la demande.
Aux termes du paragraphe 24(a) des Dispositions, «l'expert statue sur la demande en se fondant sur les allégués des deux parties et les documents écrits déposés, dans le respect des présentes dispositions».
Selon le paragraphe 24(c) des Dispositions, l'expert fait droit à la demande lorsque l'enregistrement ou l'utilisation d'un nom domaine constitue clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au requérant selon le droit suisse ou du Liechtenstein.
Selon le paragraphe 24(d) des Dispositions, il y a clairement infraction à un droit en matière de propriété intellectuelle notamment lorsque:
i. aussi bien l'existence du droit attaché à un signe distinctif invoqué que son infraction résultent clairement du texte de la loi ou d'une interprétation reconnue de la loi et des faits exposés, et qu'ils ont été prouvés par les moyens de preuve déposés; et que
ii. la partie adverse n'a pas exposé et prouvé des raisons de défense importantes de manière concluante; et que
iii. l'infraction, selon la demande en justice formulée, justifie le transfert ou l'extinction du nom de domaine.
A. La Requérante a-t-elle un droit attaché à un signe distinctif selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein?
La Requérante détient notamment une marque internationale CA CREDIT AGRICOLE désignant la Suisse et une marque éponyme suisse. Elle dispose donc d'un droit attaché à un signe distinctif selon le droit suisse.
B. L'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine constitue-t-il clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué à la Requérante selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein?
Le nom de domaine litigieux comporte intégralement la marque et le nom CRÉDIT AGRICOLE de la Requérante. Il n'existe pas de site internet actif lié au nom de domaine litigieux qui n'a, d'après le dossier, jamais été utilisé par le Défendeur.
A cet égard, la Requérante invoque essentiellement une violation de la Loi fédérale contre la concurrence déloyale ("LCD").
Aux termes de l'article 2 LCD, «est déloyal et illicite tout comportement ou pratique commercial qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients».
L'article 3 alinéa 1 lettre d LCD prévoit que "agit de façon déloyale celui qui, notamment prend des mesures qui sont de nature à faire naître une confusion avec les marchandises, les œuvres, les prestations ou les affaires d'autrui".
L'enregistrement d'un nom de domaine reproduisant la marque d'un tiers peut - indépendamment de tout usage - constituer un acte de concurrence déloyale lorsqu'il cause objectivement une entrave à l'activité commerciale du titulaire de la marque et/ou lorsque l'intention de causer une telle entrave est manifeste (AdunoKaution AG, Aduno Finance AG contre SC, Swiss Caution SA, Litige OMPI No. DCH2015-0019, et l'arrêt cité du Tribunal de commerce de Zurich, ZR 101 (2002), 51, du 18 décembre 2001; Société des Produits Nestlé S.A. contre Shen Chaoyong, Litige OMPI No. DCH2014-0013 et l'arrêt cité du Tribunal fédéral ATF 126 III 239, 247).
Comme relevé plus haut, le nom de domaine litigieux contient intégralement la marque CREDIT AGRICOLE de la Requérante.
L'adjonction du terme «groupe» dans le nom de domaine litigieux n'enlève rien au fait qu'il est quasiment identique avec les marques invoquées par la Requérante et avec la raison sociale de cette dernière.
Au demeurant, cette adjonction du terme «groupe» au nom de la Requérante, qui est notoirement constituée d'un groupe de sociétés déployées dans le monde, renforce le sentiment de proximité et donc le risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et les droits invoqués par la Requérante sur CRÉDIT AGRICOLE.
En effet, l'association du terme «groupe» contenu dans le nom de domaine litigieux avec le terme «Crédit Agricole» fait penser à tort qu'il existerait un lien entre le nom de domaine litigieux et la Requérante et que ce nom de domaine litigieux est à terme destiné à un site officiel du groupe CREDIT AGRICOLE pour la Suisse.
Le Défendeur ne pouvait d'ailleurs pas ignorer l'existence de la Requérante qui dispose d'une grande notoriété dans le secteur bancaire et dans le public, puisqu'elle déploie une large palette de services à une clientèle variée. En outre, le Défendeur n'a pas répondu à la demande.
Il est donc vraisemblable que le Défendeur ait enregistré le nom de domaine litigieux dans le but de gêner l'activité commerciale de la Requérante.
Au vu de ces circonstances, l'expert estime que le seul enregistrement du nom de domaine litigieux constitue un acte de concurrence déloyale au sens des dispositions précitées et que la deuxième condition des Dispositions est également remplie.
Un examen d'une éventuelle violation au droit des marques ou au nom de la Requérante n'est en conséquence pas nécessaire.
Pour les raisons énoncées ci-dessus, et conformément au paragraphe 24 des Dispositions, l'expert ordonne le transfert du nom de domaine <credit-agricole-groupe.ch> au profit de la Requérante.
Theda König-Horowicz
Expert
Le 8 novembre 2016