Le Requérant est VENTE-PRIVEE.COM, Saint-Denis, France, représenté par le Cabinet Degret, France.
Le Défendeur est F.M. , Toulouse, France.
Le litige concerne le nom de domaine <ventepriveee.fr> enregistré le 21 juillet 2008.
Le prestataire Internet est la société EuroDNS S.A.
Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 11 février 2010, par courrier électronique et le 12 février 2010, par courrier postal.
Le 15 février 2010, le Centre a adressé à l'Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l'“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le 15 février 2010, l'Afnic a transmis sa vérification au Centre confirmant qu'aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n'est pendante et révélant l'identité du titulaire du nom de domaine concerné et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 16 février 2010, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine concerné telles que communiquées par l'Afnic et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte. Le Requérant a déposé un amendement le 19 février 2010.
L'Afnic a confirmé l'ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l'ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l'Afnic applicable (ci-après la “Charte”).
Conformément à l'article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 23 février 2010. Conformément à l'article 15 du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 15 mars 2010. Le défendeur n'a pas fait parvenir de réponse.
Le 24 mars 2010, le Requérant a déposé des observations supplémentaires dans le cadre de cette procédure. Le même jour, le Centre a accusé réception des observations supplémentaires du Requérant et a informé les parties que le Règlement ne prévoit aucune disposition concernant les observations supplémentaires et que ce serait l'Expert, en vertu de son pouvoir souverain d'appréciation, qui déciderait s'il convient de les accepter et de les prendre en considération dans l'élaboration de sa décision.
Le 24 mars 2010, le Centre nommait Michel Vivant comme Expert dans le présent litige. L'Expert a constaté qu'il a été nommé conformément au Règlement. L'Expert a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément à l'article 4 du Règlement.
Le 21 juillet 2008, le nom de domaine <ventepriveee.fr> a été enregistré sous couvert d'anonymat par F.M. dont l'identité a été ultérieurement révélée à la suite de la demande aux fins de vérification des éléments du litige adressée à l'Afnic le 15 février 2010.
Or, ainsi que le Requérant dit l'avoir découvert par mégarde, il s'avère que la saisie du nom de domaine <ventepriveee.fr> (c'est-à-dire comportant un “e” supplémentaire par rapport aux noms de domaine du Requérant <venteprivee.fr> ou <venteprivee.com> pour s'en tenir aux noms génériques) donne accès à une “page parking” constituée de liens hypertextes ayant notamment pour objet des thématiques de type “Shopping”, “Achat Voiture”, “Achat Immobilier”, “Divertissement”…, ces liens permettant à leur tour l'accès à des sites marchands concurrents de celui du Requérant.
S'appuyant tout à la fois sur des marques dont elle est titulaire, sur sa dénomination sociale, sur plusieurs noms de domaine antérieurs et sur “le titre de son site Web” et mettant non seulement en avant une atteinte à ses droits de propriété intellectuelle mais aussi “aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale” (visées au Règlement), la société VENTE-PRIVEE.COM, a décidé de recourir à la Procédure Alternative de Résolution des Litiges. Elle sollicite le transfert du nom de domaine litigieux.
Le Requérant sollicitant le transfert du nom de domaine litigieux fait valoir, conformément à l'article 12(a)(vi) in fine du Règlement, qu'il dispose de droits sur l'appellation Vente-privée à plusieurs titres :
- diverses marques, à savoir
- VENTE PRIVEE.COM, marque française déposée le 17 décembre 2003, enregistrée sous le n° 03/3.263.431 ;
- VENTE-PRIVEE.COM, marque française déposée le 14 octobre 2004, enregistrée sous le n° 04/3.318.310 ;
- VENTE-PRIVEE, marque française déposée le 23 novembre 2005, enregistrée sous le n° 05/3.393.310 ;
- VENTE-PRIVEE.COM, FAITES-VOUS INTERDIRE, marque française déposée le 13 juillet 2006, enregistrée sous le n° 06/3.440.679 ;
- VENTE-PRIVEE.COM, marque communautaire déposée le 24 octobre 2006, enregistrée le 20 décembre 2007 sous le n° 005.413.018 ;
- dénomination sociale puisque les termes “Vente-Privée.com” constituent sa dénomination ;
- noms de domaine construits à partir de la dénomination sociale (dont <vente-privee.com> mais encore, par exemple, <venteprivee.fr> ou <venteprivee.com>) ;
- “titre (de son) site Web”, analysé par le Requérant comme une œuvre de l'esprit.
Le Requérant organise son argumentation autour des deux sortes de griefs qu'il adresse au Défendeur (atteinte à ses droits de propriété intellectuelle et atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale), s'efforçant pour les premiers de caractériser les atteintes à ses droits qu'il identifie droit par droit (droits de marque d'une part, éventuel droit d'auteur sur le titre du site d'autre part). C'est ainsi que, s'agissant des marques, il plaide la contrefaçon (sans nul doute entendue au sens large puisqu'il met en avant le risque de confusion) mais aussi, au visa de l'article L. 713-5 CPI, “l'atteinte à la renommée des marques”.
Les atteintes aux règles de la concurrence et au comportement loyal en matière commerciale sont, quant à elles, caractérisées dans la requête à travers “l'atteinte à la dénomination sociale et aux noms de domaine”, le Requérant mettant notamment en avant :
- que l'exploitation d'un nom de domaine quasi-identique aux identifiants commerciaux du Requérant, qui plus est en relation avec un domaine d'activité concurrent, ne peut qu'occasionner un risque de confusion entre les signes en présence ;
- que la mauvaise foi et la déloyauté du Défendeur sont d'autant mieux établies que le Requérant est bien connu, le fait que le nom de domaine litigieux comporte une faute de frappe étant par ailleurs de nature en soi à établir la volonté parasitaire du Défendeur de détourner une partie du trafic attaché au site Web comme cela a déjà été jugé ;
- que cette dimension parasitaire se révèle encore à travers le montage fait par le Défendeur, dès lors que, selon le Requérant, “l'exploitation d'un nom de domaine (…) en relation avec un contenu publicitaire est nécessairement frauduleuse (puisque réalisée avec la seule intention de profiter indûment du flux d'internautes cherchant à se rendre sur le site Web notoire du Requérant)”.
Comme il a été rappelé plus haut, le Défendeur a fait défaut.
Les droits invoqués par la société VENTE-PRIVEE.COM sur les identifiants qu'elle met en avant, sont parfaitement établis :
- droits sur les marques (suivant les actes d'enregistrement produits) ;
- droits sur la dénomination sociale (suivant le certificat d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés de l'entreprise) ;
- droits sur les noms de domaine (suivant les actes d'enregistrement produits).
S'agissant du titre du site Web du Requérant, la question est plus délicate. On pourra heureusement admettre, suivant la présomption prétorienne aujourd'hui fermement établie, que la société qui exploite commercialement une œuvre doit, en l'absence de toute revendication de la part de la ou des personnes physiques ayant réalisé celle-ci, être présumée, à l'égard des tiers poursuivis, titulaire des droits sur l'œuvre en cause (V. par exemple Cass. 1re civ., 24 mars 1993, 2e esp. : Grands arrêts de la propriété intellectuelle, Dalloz, 2003, no 10, comm. Clément-Fontaine et Robin; JCP G 1993, II, 22085, note F. Greffe; RIDA 1993, no 158, 200; RTD com. 1995, 418, obs. Françon – et jurisprudence constante). Il n'en reste pas moins qu'en matière de droit d'auteur, le caractère protégeable d'une œuvre (qui seul autorise une action) n'est pas établi ex ante à travers une procédure (comme en matière de marques ou de brevets où les droits peuvent certes être remis en cause mais où “foi est due au titre” : par exemple Paris, 4e ch., 24 mai 1994 : PIBD 1994, 495, III, 496) mais est reconnu ex post par l'autorité judiciaire. Or il paraît difficile d'admettre que cette appréciation puisse être le fait d'un expert se substituant au juge, spécialement dans un domaine, celui des titres, où il est impossible de dégager des lignes directrices de la jurisprudence. D'un autre côté, on ne peut pas non plus l'interdire par principe à l'expert sauf à priver d'intérêt la procédure alternative quand sont invoqués des droits d'auteur. La solution est sans doute à rechercher, à défaut d'une présomption d'originalité que ne reconnaît pas à ce jour le droit positif, dans l'idée que la question de la “protégeabilité” n'a pas à être soulevée d'office par le juge mais qu'elle doit être invoquée par le défendeur (V. Cass. civ. 1re, 19 nov. 1991 : JCP E 1992. I. 141, n° 4, obs. Vivant et Lucas). Cela étant, la question appellerait de plus substantiels développements. Mais on observera qu'en l'espèce du moins, cela suffit à faire admettre, pour les besoins du présent contentieux, les droits du Requérant.
Le Requérant s'est efforcé de démontrer à des titres divers et sur des fondements divers différentes atteintes à ses droits ainsi qu'un comportement déloyal autonome de la part du Défendeur.
On se doit toutefois de relever qu'aux termes du Règlement il suffit que le Requérant démontre “pourquoi l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l'article 1 du présent règlement” (art. 12), d'où il résulte qu'une seule atteinte soit à l'un des droits du tiers requérant soit aux règles de la concurrence suffit à justifier une mesure de suppression ou, comme ceci est sollicité en l'espèce, de transmission du nom de domaine.
Dans le prolongement, on rappellera encore qu'il y a atteinte aux droits des tiers, “en particulier, lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire” (art. 1er).
Sous le bénéfice de ces observations ou rappels, il convient d'abord d'observer que les marques sur lesquelles le Requérant prend appui sont antérieures à l'enregistrement du nom de domaine litigieux et qu'elles couvrent des services, notamment relevant des classes 35 et 41, de type publicité et promotion en ligne ou achat en ligne. Or le nom de domaine litigieux est effectivement exploité, comme le soutient le Requérant “en relation avec” des activités de même nature que celles couvertes par lesdites marques tout particulièrement en cela que le site désigné par le nom litigieux constitue une sorte de “relais publicitaire”.
Ensuite, s'agissant des signes, il doit être rappelé que, suivant une jurisprudence constante, aussi bien dans le contexte des Principes directeurs concernant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (principes UDRP) que suivant le présent Règlement, l'extension, en toutes hypothèses, n'est pas un élément à prendre en compte. La comparaison doit donc être faite abstraction de celle-ci. Or ici, si les marques du Requérant sont semi-figuratives, il n'en est pas moins vrai que c'est autour des mots “Vente Privée” qui constituent l'élément central, dominant, des marques en cause que doit concrètement se faire ladite comparaison.
Or il apparaît que, les choses ainsi recentrées, les seules différences entre les marques construites sur les mots “Vente Privée” et le nom de domaine <ventepriveee.fr> tiennent :
- d'abord à l'“écrasement” dans la graphie du nom de domaine, mais qui répond plus à la logique d'écriture de ces noms qu'à autre chose (et l'on observera, d'ailleurs, que les noms de domaine <venteprivee.fr> et <venteprivee.com> présente le même “écrasement” des termes),
- ensuite au fait qu'a été ajouté un “e” final parfaitement inutile mais dont l'adjonction, sans raison d'être objective, peut précisément, pour cette raison même, être un fort indice de la mauvaise foi du Défendeur.
Comme l'est aussi – soit noté en passant – le fait que l'enregistrement ait été fait en présence de marques qu'on peut juger bien connues. Ou encore le fait que, sur le site, le nom de domaine <ventepriveee.fr> soit offert à la vente.
La “contrefaçon par imitation” étant établie dès lors qu'un risque de confusion dans l'esprit du public est créé par l'impression d'ensemble que donne le signe litigieux, il faut considérer qu'il y a bel et bien ici, où les différences entre marques et nom sont extrêmement ténues, imitation, et, si l'on tient l'usage fait pour entrant dans le périmètre de la marque, imitation sanctionnable et donc atteinte aux droits des tiers au sens du Règlement.
Dans le cadre de la procédure en “.fr”, des situations semblables ont, d'ailleurs, déjà donné lieu à sanction (ainsi de la reproduction de la marque TOTAL par le nom <totale.fr> : Total S.A. contre KLTE Limited, Litige OMPI No. DFR2005-0017; ou de la reproduction de la marque CETELEM par le nom <ceteleme.fr> : CETELEM contre AFX Consulting, Litige OMPI No. DFR2006-0001).
Quant à l'appréciation à porter sur de telles pratiques de typosquatting, reprenant la motivation adoptée dans l'affaire Crédit Industriel et commercial c. Stéphane Reynaud, Litige OMPI No. DFR2009-0021, on peut admettre qu'un tel “jeu” sur une lettre “n'est pas dicté par la volonté de se démarquer de la dénomination du Requérant mais au contraire de profiter indûment des avantages liés (…) à enregistrer et dans l'avenir à utiliser un nom de domaine ou plusieurs noms de domaine reproduisant ou imitant une dénomination appartenant à un tiers au surplus largement connue du public”.
Quant à cette large connaissance du public visée dans la dernière décision citée, l'Expert ajoutera que, s'il est vrai que le règlement des litiges en matière de noms de domaine n'échappent pas au principe de spécialité et donc à la nécessité de mesurer l'exacte emprise de la marque, il est ici raisonnable de considérer que les marques VENTE PRIVEE ont un caractère notoire ou renommé (ce n'est pas le lieu d'entrer dans des distinctions académiques quoique non dépourvues d'intérêt) qui autorise une protection plus étendue que celle offerte par le droit commun des marques.
Or, outre le fait que la cour de Paris a, dans un arrêt du 24 septembre 2008, reconnu que la société VENTE PRIVEE.COM était “l'un des principaux acteurs, en France, de la vente en ligne sur le réseau Internet” et fait état de sa notoriété, qu'une appréciation semblable a été portée par diverses décisions en vertu du présent Règlement (ainsi VENTE-PRIVEE.COM contre SWITCH, Litige OMPI No. DFR2007-0029) ou par l'INPI lors d'une procédure d'opposition (décision du directeur général de l'INPI de 2006, opp. n° 08-3122), le Requérant apporte de nombreux éléments de fait permettant de tenir les marques VENTE PRIVEE pour renommées : nombre important des visites du site Vente-Privée.com, importance des ventes réalisées, ampleur comparative de l'activité…
Or l'article L. 713-5 CPI dispose : “La reproduction ou l'imitation d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière”.
Ici encore peut donc, à ce titre, être retenue une atteinte aux droits du Requérant.
Il a, d'ailleurs, été jugé sur le terrain de la bonne foi, que l'“enregistrement à titre de nom de domaine sans autorisation et sans droit sur la marque de renommée d'un tiers ne peut qu'(être) effectué de façon déloyale pour tenter de tirer indûment profit de la renommée de ladite marque et privant du même coup le requérant de son droit légitime d'exploiter celle-ci dans la zone “.fr” (Euro-Information contre Skiwebcenter, Litige OMPI No. DFR2004-0001).
Dès l'instant où, comme il a été rappelé plus haut, il suffit que soit constatée une unique atteinte à l'un quelconque des droits du tiers requérant ou aux règles de la concurrence, l'atteinte aux marques du Requérant pouvant être tenue pour caractérisée, il est inutile de poursuivre dans l'analyse des griefs formulés par le Requérant, ses prétentions se trouvant d'ores et déjà par ce qui a été dit justifiées à suffisance.
Pour la même raison, et sans avoir à trancher la question délicate de savoir quel sens donner au silence du Règlement quant au dépôt d'éventuelles observations supplémentaires, il n'est pas nécessaire de prendre en compte les observations supplémentaires que le Requérant a, postérieurement à sa requête, adressées au Centre.
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l'Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <ventepriveee.fr>.
Michel VIVANT
Expert
Le 3 avril 2010