Le Requérant est Vente-Privee.com, Saint-Denis, France, représenté par le Cabinet Degret, France.
Le Défendeur est Daniel Fuehrer, Linden, Allemagne.
Le litige concerne le nom de domaine <venteprive.fr> enregistré le 18 mars 2010.
Le prestataire Internet est la société Ediciel.
Une demande déposée par Vente-Privee.com auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") a été reçue le 17 novembre 2010.
Le 17 novembre 2010, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’"Afnic") une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le 18 novembre 2010, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige, ainsi qu’aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n’est pendante.
Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du ".fr" et du ".re" par décision technique (ci-après le "Règlement") en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du ".fr" et du ".re" conformément à la Charte de nommage de l’Afnic applicable (ci-après la "Charte").
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 23 novembre 2010. Conformément à l’article 15 du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 13 décembre 2010. Le Défendeur a pris l’initiative d’adresser le 30 novembre 2010 un courriel proposant de négocier un accord amiable sur le transfert du nom de domaine <venteprive.fr> au Requérant. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 13 décembre 2010. Le Requérant a adressé au Centre des observations additionnelles le 17 décembre 2010.
Le 21 décembre 2010, le Centre nommait Marie-Emmanuelle Haas comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.
Le Requérant est une société française qui a pour activité l’achat et la revente de tous produits, notamment via les outils de commerce électronique et son site web "www.vente-privee.com", qui est également accessible à partir des noms de domaine <vente-privee.fr>, <venteprivee.com> et <venteprivee.fr>.
Créé en 2001, le Requérant est rapidement devenu l’un des principaux acteurs du commerce électronique en France. Il organise des ventes événementielles, pour ses membres, sous la forme de ventes limitées dans le temps de produits de "grandes marques" bénéficiant de fortes décotes de – 40 à – 70 % par rapport aux prix "boutique". Le Requérant communique des données chiffrées de nature à justifier de l’ampleur de son activité et, de ce fait, de la notoriété de son signe distinctif "Vente-Privée.com".
Il revendique, en termes de nombre de visiteurs uniques du site "www.vente-privee.com" les chiffres de 1,2 millions de personnes en novembre 2004, 3,6 millions de personnes en septembre 2007, 5,8 millions de personnes en septembre 2008 et 6,2 millions de personnes en septembre 2009.
Certains jours, plus de 600,000 personnes se rendent sur le site.
En décembre 2008, le site "www.vente-privee.com" a atteint "son milliardième visiteur à ses ventes".
L’ampleur de cette activité positionne le site "www.vente-privee.com" parmi les 15 sites marchands les plus visités en France depuis 2005.
Il a été en 2007, le premier vendeur de vin sur Internet et est actuellement le 3ème site web français pour la vente de vêtements et le 6ème site pour la vente de produits dans le domaine de la maison.
En mai 2008, le site "www.vente-privee.com" avait atteint un taux de notoriété de plus de 86 % parmi les acheteurs en ligne.
Le Requérant revendique la renommée du signe distinctif "Vente-Privée.com". Il communique une revue de presse essentiellement française depuis 2007.
Son chiffre d’affaire hors taxes est passé de 310 millions d’euros en 2007 à 418 millions d’euros en 2008 et le nombre de membres est passé de 1,9 millions en janvier 2006 à près de 7 millions en novembre 2009.
C’est suite à une erreur de frappe que le Requérant a pris connaissance de l’existence du nom de domaine <venteprive.fr>, exploité pour donner accès à une page "parking" mise en ligne par un tiers.
Il a pu constater que cette page était essentiellement constituée de liens hypertexte permettant l’accès à des sites marchands directement concurrents de son propre site, tels que les sites "www.laredoute.fr", "www.cdiscount.com" ou "www.shoroomprive.com".
Il a également pu constater la mise en vente du nom de domaine <venteprive.fr> sur le site "www.cedo.com" pour la somme minimale de 499 Euro.
C’est dans ces circonstances que le Requérant a saisi le Centre afin d’obtenir le transfert, à son profit, du nom de domaine <venteprive.fr>.
L’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine <venteprive.fr> constituent une atteinte aux droits de propriété intellectuelle du Requérant, ainsi qu’une violation des règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale (article 1 du Règlement).
Le Requérant revendique des droits de propriété intellectuelle sur le fondement :
- de ses marques françaises VENTE-PRIVEE + logo en couleurs n° 053 393 310 ; VENTE-PRIVEE.COM + logo en couleurs n° 04 3 318 310 ; VENTE-PRIVEE.COM n° 09 3 623 085 ; VENTE PRIVEE.COM + logo en couleurs n° 03 3 263 431 et VENTE-PRIVEE.COM ; FAITES-VOUS INTERDIRE n° 06 3 440 679, de sa marque communautaire VENTE-PRIVEE.COM + logo en couleurs n° 5 413 018, notamment protégées en classes 35, 38 et 41 ;
- de la protection par le droit d’auteur du titre de son site Vente-Privee.com, sur le fondement de l’article L 112-4 alinéa 2 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI).
Il développe une argumentation sur la contrefaçon de ses marques, sur l’atteinte à ses marques, en tant que marques de renommées, sur le fondement de l’article L713-5 du CPI et sur l’atteinte au titre de son site.
Il fait valoir la renommée de sa marque VENTE PRIVEE et communique différentes décisions l’ayant reconnue, avec trois décisions de Monsieur le Directeur de l’INPI statuant sur une opposition (décisions d’opposition OPP 06-0658 du 28 août 2006, OPP 06-3015 du 21 mars 2007, OPP 08-3122 du 4 mars 2009 Institut National de la Propriété Industrielle), une décision de la Cour d’appel de Paris (CA Paris 4eme Ch Sect. A 24 septembre 2008 SAS Vente-Privée.com c. SARL Kalypso, RG n° 07/03336) et trois décisions rendues par des experts du Centre (Vente-Privée.com v. Switch, Litige OMPI No. DFR2007-0029 ; Vente-Privée.com v. M.K., Litige OMPI No. DTV2008-0002; Vente-Privée.com v. F.M., Litige OMPI No. DFR2010-0006).
Le Requérant fait également valoir le comportement déloyal du Défendeur, au titre de l’atteinte à sa dénomination sociale et à ses noms de domaine <vente-privee.com>, <venteprivee.com>, <vente-prive.com>, <venteprive.com>, <vente-privee.fr>, <venteprivee.fr>, antérieurs à l’enregistrement du nom de domaine litigieux.
Il expose que le typosquatting dont il est victime permet au Défendeur de bénéficier indûment de son audience sur l’Internet, d’autant plus qu’il est exploité en relation avec des activités concurrentes ou connexes.
Il invoque plus globalement un comportement déloyal tant lors de l’enregistrement que de l’usage du nom de domaine <venteprive.fr>, aux motifs qu’il appartenait au Défendeur de vérifier la disponibilité du nom choisi et qu’il a délibérément ignoré les droits du Requérant.
Il expose que le Défendeur est titulaire d’autres noms de domaine caractérisant des pratiques de typosquatting, avec les exemples de <gooogle.fr>, <gougle.fr>, et <ggoogle.fr> et communique six décisions pour prouver que le Défendeur a déjà été mis en cause dans le cadre de précédentes procédures extra-judiciaires, dont notamment la décision Le Républicain Lorrain SAS contre Daniel Fuehrer, Litige OMPI No.
DFR2009-0004 qui a porté sur le nom de domaine <republicainlorrain.fr>.
Le Défendeur a pris l’initiative d’adresser le 30 novembre 2010 un courriel proposant de négocier un accord amiable sur le transfert du nom de domaine <venteprive.fr> au Requérant.
Il a ensuite fait parvenir sa réponse le 13 décembre 2010.
Dans sa réponse, le Demandeur déclare que "le nom de domaine <venteprive.fr> est dérivé de l’expression Vente Privée".
Selon la définition qu’il cite, venant de Wikipédia, il s’agit d’un "mode de vente par lequel les produits sont vendus avec de fortes réductions pouvant atteindre – 70 %".
Il fait valoir que, si le site "www.vente-privee.com" occupe la première place du marché sur ce segment, il existe parallèlement de nombreux autres sites web tiers qui utilisent des noms similaires, avec par exemple les noms de domaine <une-vente-privee.fr>, <venteprive.skyrock.com>, <luxe-venteprivee.fr>, <priveevente.com>.
Il affirme ne pas être à l’origine de la mise en vente du nom de domaine <venteprive.fr> sur le site "www.sedo.com" et rappelle avoir proposé le transfert du nom de domaine litigieux dès le 23 novembre 2010, cette proposition étant restée sans réaction jusqu’au 10 décembre 2010, date à laquelle le Requérant a informé ne pas être intéressé par une solution amiable.
Il considère que le nom de domaine <venteprive.fr> ne viole aucun droit du Requérant et que cet enregistrement n’a pas été effectué dans une volonté malicieuse puisqu’il n’est pas à l’origine de la mise en vente du nom de domaine et que la Requérante n’a pas été entravée dans ses activités économiques. Il demande donc le rejet de la demande.
L’Expert fait droit à la demande "lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l’article 1 du présent règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable" (Règlement, article 20(c)).
Conformément à l’article 1 du Règlement, on entend par :
- atteinte aux droits des tiers "une atteinte aux droits des tiers, en particulier, lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d’une personne, sauf si le Défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi".
- atteinte aux règles de la concurrence, "une atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire".
Conformément à l’article 20(a) du Règlement "L'expert statue sur la demande au vu des écritures et des pièces déposées par les deux parties, dans le respect du présent règlement".
En vertu des pouvoirs qui lui sont accordés par le Règlement (article 17(a) et (b), l’Expert décide de prendre en compte les observations additionnelles du Requérant.
Il appartient à l’Expert d’identifier si le Requérant a justifié de ses droits sur l'élément objet de l’atteinte, soit sur le nom de domaine <venteprive.fr>.
Le Requérant apporte la preuve qu'il a des droits de propriété intellectuelle sur la dénomination Vente Privée au titre de se ses marques françaises VENTE-PRIVEE + logo en couleurs n° 053 393 310 ; VENTE-PRIVEE.COM + logo en couleurs n° 04 3 318 310 ; VENTE-PRIVEE.COM n° 09 3 623 085 ; VENTE PRIVEE.COM + logo en couleurs n° 03 3 263 431 et VENTE-PRIVEE.COM ; FAITES-VOUS INTERDIRE n° 06 3 440 679, de sa marque communautaire VENTE-PRIVEE.COM + logo en couleurs n° 5 413 018, notamment protégées en classes 35, 38 et 41.
Ces marques sont enregistrées et sont donc des droits de propriété intellectuelle valables et opposables aux tiers.
Le Requérant prouve la renommée de sa marque en France, ce que le Défendeur ne conteste pas, lorsqu’il reconnaît que le Requérant "avec son portail vente-privee.com, peut occuper la première place du marché sur ce segment".
Dans ces conditions, l’argumentation du Défendeur sur la signification de l’expression "Vente privée" pour contester les droits revendiqués n’est pas pertinente.
Le Requérant est également titulaire de droits sur sa dénomination sociale "Vente-Privée.com" et sur des noms de domaine composés de ce terme et qui le déclinent selon différentes variantes et sous différentes extensions.
Au regard de ce qui précède, l'Expert considère que le Requérant a justifié ses droits sur l'élément objet de l'atteinte, ce qui permet, le cas échéant, d'autoriser la transmission du nom de domaine.
L'atteinte aux droits des tiers est constituée lorsqu'il apparaît que le nom de domaine litigieux est identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire.
Le Requérant prouve qu'il a des droits, en France et dans l’Union européenne, à titre de marques sur la dénomination Vente Privée et il justifie qu'il bénéficie d'une renommée en France.
Conformément à l’article 14.1 de la Charte de Nommage de l’Afnic, il appartenait au Défendeur, avant de procéder à l’enregistrement des noms de domaine <venteprive.fr>, de vérifier que cet enregistrement ne portait pas atteinte aux droits des tiers.
La seule différence entre les marques du Requérant est l’absence de trait d’union entre les termes "Vente" et "Prive", l’omission de la lettre "é" dans "Prive" et l’extension ".fr". Ce choix s’explique par les contraintes de syntaxe et de disponibilité qui se sont imposées au Défendeur : le nom de domaine ne peut pas comporter d’espace et le nom de domaine <venteprivee.fr> était déjà enregistré au nom du Requérant.
S’agissant de l’extension ".fr", elle n’est pas prise en compte pour procéder à la comparaison.
Il en résulte donc que le choix par le Défendeur du nom de domaine <venteprive.fr> caractérise une pratique de typosquatting clairement sanctionnée, et que ce nom de domaine est susceptible d’être confondu avec les marques composées en tout ou en partie de VENTE PRIVEE, sur lesquelles le Requérant justifie avoir des droits.
Le Défendeur ne justifie d'aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine et ne prouve pas sa bonne foi.
Sa réaction immédiate à la notification de la demande a été de proposer de clore le différend par une solution amiable avec l’offre de transfert. Une telle solution avait pour avantage pour le Défendeur d’éviter qu’une décision sanctionnant ses agissements soit rendue et publiée, étant rappelé que le Défendeur a déjà fait l’objet de décisions de transfert concernant des noms de domaine qu’il avait enregistrés.
A défaut d’acceptation de sa proposition, il a répondu à la demande pour opposer la signification usuelle de l’expression "Vente Privée" et affirmer sa bonne foi.
Le Défendeur avait nécessairement connaissance des droits du Requérant lorsqu’il a enregistré le nom de domaine <venteprive.fr>, car le site "www.vente-privee.com" est très connu en France et y jouit d’une véritable renommée.
Bien que domicilié en Allemagne, le Défendeur a des liens étroits avec la France, comme le montre le fait qu’il est désigné à l’extrait Whois du nom de domaine <venteprive.fr>, en tant que titulaire et contact administratif, avec dans le premier cas une adresse en Allemagne et dans le second cas une adresse en France.
Conscient de la réputation du Requérant en France, il a fait le choix d’enregistrer un nom de domaine rattaché à la France et a enregistré en ".fr" une variante encore disponible de la dénomination sur laquelle le Requérant a des droits.
En utilisant le nom de domaine <venteprive.fr> pour donner accès à un site "parking", le Défendeur a clairement démontré son intention de porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle et autres droits du Requérant, puisqu'il a exploité ce nom de domaine pour donner notamment accès au site de concurrents directs du Requérant, avec pour conséquence inévitable un détournement de la clientèle du Requérant.
Selon le mode de fonctionnement de sites "parking", le titulaire du nom de domaine bénéficie d’une rémunération au clic, dès lors qu’un internaute clique sur l’un des liens proposés. L’usage du nom de domaine <venteprive.fr> a donc dû générer un gain pour le Défendeur.
Ces faits confirment l’absence de droit ou d’intérêt légitime du Défendeur et sa mauvaise foi.
Pour l’ensemble de ces raisons, l'Expert considère que le Défendeur a porté atteinte, d’une part, aux droits de propriété intellectuelle du Requérant et, d’autre part, aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale en enregistrant et en exploitant le nom de domaine <venteprive.fr>.
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <venteprive.fr>.
Marie-Emmanuelle Haas
Expert
Le 4 janvier 2011