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Litiges de propriété intellectuelle en Afrique

Février 2010

Par Darren Olivier

Cet article de Darren Olivier, chef du service de défense des marques au cabinet Bowman Gilfillan, en Afrique du Sud, recense quelques-uns des développements les plus récents en matière de propriété intellectuelle sur le continent africain. M. Olivier est cofondateur du blogue Afro-IP, qui publie régulièrement des articles et des nouvelles sur la propriété intellectuelle en Afrique.

L’Afrique, avec ses 54 pays et environ un milliard d’habitants, est relativement peu présente dans la jurisprudence en matière de propriété intellectuelle. À l’exception des décisions rendues en Afrique du Sud, qui sont commentées d’une manière régulière, il est en effet rare que l’on entende parler des affaires de propriété intellectuelle traitées dans les pays du continent, et même alors, il semble que l’information parvienne seulement aux initiés. La plupart des praticiens en la matière ignorent donc tout de la manière dont est assurée l’application des droits de propriété intellectuelle en Afrique. Il en résulte que les investissements de propriété intellectuelle sur le continent sont vus avec une certaine appréhension ou que l’Afrique donne l’image d’un endroit où le respect des droits de propriété intellectuelle n’est pas une condition pour faire des affaires. Tout cela est cependant en train de changer.

Des publications en ligne telles que Afro-IP, World Trade Mark Review, Managing Intellectual Property et le Magazine de l’OMPI s’efforcent de favoriser un meilleur accès aux informations concernant la situation de la propriété intellectuelle en Afrique. Les affaires évoquées ci-dessous ne sont que quelques exemples parmi les cas qui ont récemment retenu l’attention. Peut-être est-ce parce que les pratiques en matière d’application des droits de propriété intellectuelle en Afrique sont maintenant mieux connues ou parce qu’elles deviennent plus efficaces, mais une chose est certaine : la résolution des litiges de propriété intellectuelle se porte bien dans la plupart des économies dynamiques du continent.


En Éthiopie, le secteur du café fait vivre environ 15 millions de personnes et représente 60% de la valeur des exportations.

Le café éthiopien

D’un litige avec la société Starbucks au sujet de l’enregistrement et de l’exploitation aux États-Unis d’Amérique de marques de ses cafés de spécialité, l’Éthiopie a su faire une occasion de négociation, aboutissant à un accord innovateur qui pourrait se traduire par des avantages durables pour son peuple. Au lieu de chercher à obtenir de l’argent, sous forme de redevances, cet accord a pour objet de mieux faire connaître les marques de café éthiopien, de manière à augmenter la demande et favoriser la création de richesse future pour le pays. Il réserve aussi à l’Éthiopie le choix des distributeurs de ses cafés dans le monde et la fixation des conditions de vente. L’Éthiopie ne perçoit pas de redevances, mais demande en échange aux distributeurs de commercialiser chacun de ses cafés sous le nom qui lui est propre (voir “Quand l’origine compte : deux cafés…”, Magazine de l’OMPI n 5/2007).

Afrique du Sud – les marques en première ligne

Ce ne sont pas moins de quatre affaires de marques dont a eu à connaître la Cour suprême d’appel d’Afrique du Sud en 2009, et selon les recueils de jurisprudence, la Haute cour en a entendu de nombreuses autres. Cela démontre qu’en Afrique du Sud, où l’information en matière d’application des droits de propriété intellectuelle est devenue beaucoup plus accessible, notamment en ce qui concerne la contrefaçon et les noms de domaine, le débat sur les questions de propriété intellectuelle est en pleine santé.

Le pays recevra en 2010 la Coupe du monde de football de la FIFA, dont les revenus dépendent directement de la capacité du pays hôte à protéger adéquatement les droits de propriété intellectuelle de ses parraineurs officiels. Un certain nombre d’actions ont déjà été intentées avec succès par des titulaires de marques internationales pour faire appliquer les dispositions en matière de marketing sauvage de la Loi sur les marques de marchandises de 1943, telle que révisée (voir “Décidée à défendre son territoire, la FIFA s’attaque au marketing sauvage”, Magazine de l’OMPI n 4/2009).

Pas de substitution frauduleuse en Namibie

La solidité du système de propriété intellectuelle de la Namibie a été mise à l’épreuve récemment dans l’affaire en substitution frauduleuse (“passing off”) Guido-Dirk Gonschorek and Others c. Asmus and Another (SA 11/2007) [2008] NASC 3 (15 avril 2008). Le différend faisait suite à la vente par Asmus à Gonschorek d’une partie de ses activités (location d’autos, tôlerie, propriétés et location de yachts), menées sous la marque ASCO. Gonschorek ayant utilisé ce nom à l’égard d’autres activités, Asmus l’avait poursuivi avec succès, pour substitution frauduleuse et atteinte à la loi 26 (Close Corporation Act) de 1988. Après analyse des notions de “dénomination indésirable” et de “préjudice intentionnel” présentes dans la Close Corporation Act ainsi que du principe de substitution frauduleuse appliqué à la vente d’une partie d’une entreprise (y compris sa dénomination) et à l’utilisation subséquente par l’acheteur de cette dénomination à des fins commerciales autres, le juge d’appel a rejeté le recours formé contre cette décision.

Kenya – une décision controversée en matière de brevet

Dans une affaire qui a déjà donné lieu à de nombreux débats au Kenya, le Tribunal de la propriété industrielle a statué qu’il n’avait pas compétence pour entendre des demandes de révocation de brevets délivrés par l’Organisation régionale africaine de la propriété intellectuelle (ARIPO). La demande concernée avait été présentée par la société Chemserve Cleaning Services Ltd et portait sur la révocation du brevet AP 773 de la société Sanitam Services (EA) Ltd. Il ressort de cette décision :

  • que les dispositions des législations nationales revêtent une grande importance en ce qui concerne l’application et la défense des droits conférés par les brevets de l’ARIPO, ce qui n’a rien de surprenant;
  • que cette difficulté à faire révoquer certains droits pourrait encourager les gestionnaires de portefeuille de propriété intellectuelle à utiliser le système de l’ARIPO. Le dépôt de demandes d’enregistrement à la fois dans le système local et celui de l’ARIPO pourrait également constituer une formule utile pour les avocats.

Une décision de la chambre des recours de l’ARIPO

La société kényenne Sanitam Services (EA) Ltd s’est trouvée une nouvelle fois sous les projecteurs lorsqu’elle a formé un recours contre la décision de l’ARIPO de radier son brevet AP 773 “Foot Operated Sanitary/Litter Bin” du registre pour non-paiement de la taxe annuelle de maintien en vigueur. Le brevet en question avait été délivré le 15 octobre 1999, mais la taxe de maintien en vigueur était toujours reçue en retard. La chambre des recours a conclu que la responsabilité était partagée, l’ARIPO ayant omis d’envoyer des rappels comme elle était censée le faire. La chambre a donc ordonné le rétablissement du brevet au Kenya et en Ouganda (l’appel ayant été abandonné à l’égard du Botswana, de la Zambie et du Zimbabwe).

L’ARIPO a été invitée à se conformer strictement aux dispositions du Protocole d’Harare relatif aux brevets et aux dessins et modèles industriels, notamment en matière de délais, de notifications, de procédure et de traitement des demandes, et en ce qui concerne les règles de la justice naturelle.

Leçons d’Ouganda

Dans l’affaire Anglo Fabrics (Bolton) Ltd and Ahmed Zziwa v African Queen Ltd and Sophy Nantongo, la Haute cour ougandaise a statué contre la société African Queen Ltd et Sophy Nantongo pour atteinte à la marque “Mekako” et substitution frauduleuse de leur savon médicamenteux. Une injonction a été accordée aux plaignants, et une amende imposée aux défendeurs. Cette affaire est intéressante à divers égards :

  • Célérité : 16 mois se sont écoulés entre l’engagement de la procédure et la décision.
  • Transfert de propriété : cette affaire a des implications importantes pour les titulaires de droits souhaitant acquérir ou céder des marques en Ouganda, et notamment qu’ils ont tout intérêt à prévoir et à conserver dans leurs dossiers un acte de transfert de propriété dûment timbré.
  • Fiabilité : les critères d’appréciation de l’atteinte aux droits de marque et de la substitution frauduleuse (“passing off”) utilisés par la cour sont connus de la plupart des avocats de common law. Le juge a par exemple été guidé, en ce qui concerne le passing off, par les cinq critères appliqués en Angleterre dans l’affaire Reckitt & Coleman Ltd c. Borden Inc (également connue sous le nom d’affaire Jiff Lemon).
  • Reconnaissance de l’ARIPO : le juge a déduit que les enregistrements de marque de l’ARIPO désignant l’Ouganda étaient opposables aux tiers.
  • Coûts : la cour a fixé le taux d’intérêt à 25% par an.

À l’ouest – Nigéria

La loi sur le droit d’auteur du Nigéria prévoit depuis longtemps la possibilité de poursuivre au civil les atteintes au droit d’auteur. Compte tenu de la lenteur du système de justice et de la rareté des avocats formés au droit d’auteur, cette option tenait plus du rêve que de la réalité. Les choses ont toutefois changé en 2009, lorsque la Société nigériane pour les droits d’auteurs d’œuvres musicales (MCSN) a gagné son procès pour atteinte aux droits d’auteur contre de la société de télécommunications Zain, qui s’est vue condamner à une amende de 100 millions de nairas (environ 674 000 dollars É.-U.) pour avoir, sans autorisation, utilisé dans des publicités et vendu comme sonneries des œuvres protégées. Le fait que la MCSN ait pu obtenir cette condamnation pour des chansons dont les titulaires de droits sont étrangers constitue une bonne nouvelle, tant pour les sociétés de gestion collective internationale que pour le Nigéria (source : Aurelia J. Schultz, Afro-IP).
 

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