Déclaration du Directeur général – 2018
Assemblées de l’OMPI – 24 septembre au 2 octobre 2018
[Sous réserve de modification]
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Votre Excellence, Monsieur l’Ambassadeur Duong Chi Dung, président de l’Assemblée générale de l’OMPI,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Vos Excellences, représentants permanents et ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les délégués,
J’ai le grand plaisir de m’associer au président de l’Assemblée générale de l’OMPI pour souhaiter chaleureusement à l’ensemble des délégations la bienvenue à ces assemblées 2018. Il est très satisfaisant de voir un si grand nombre de participants, signe d’un engagement et d’un soutien particulièrement actifs de tant d’États membres en faveur de l’Organisation.
Je remercie l’Ambassadeur Duong pour sa direction avisée, son dévouement et les conseils éclairés qu’il a dispensés tout au long de l’année en qualité de président de l’Assemblée générale. Je tiens également à remercier les autres ambassadeurs et représentants des États membres qui ont consacré temps et énergie à la présidence des autres organes directeurs, comités et groupes de travail de l’Organisation. Le bon fonctionnement de l’Organisation et le bon déroulement de ses travaux dépendent de la générosité et de l’engagement de ceux qui remplissent ces fonctions essentielles.
L’importance économique et sociale de la propriété intellectuelle ne cesse de croître dans le monde entier. Elle repose sur un progrès technologique rapide, profond et généralisé, qui façonne l’avenir de l’économie et valorise de plus en plus les savoirs dans leur expression économique et commerciale en tant qu’actifs intangibles.
Cette évolution de la place de la propriété intellectuelle se manifeste à maints égards : dans la demande de droits de propriété intellectuelle, dans l’attention portée à la propriété intellectuelle comme composante de la stratégie d’innovation et de la stratégie industrielle des pouvoirs publics et des entreprises, dans les négociations commerciales ainsi que dans les actualités et les analyses des médias et du grand public.
Si l’on prend comme exemple la demande (un des indicateurs de l’évolution), on constate que l’ampleur du changement est considérable. En 2016, dernière année entière pour laquelle nous disposons de statistiques des États membres, 3,1 millions de demandes de brevet, 7 millions de demandes d’enregistrement de marques et 963 000 demandes d’enregistrements de dessins et modèles ont été déposées auprès des offices de propriété intellectuelle du monde entier. Ces chiffres sont impressionnants et représentent respectivement des augmentations de 189%, 253% et 388% sur les 20 dernières années. Ces hausses massives s’expliquent de nombreuses manières, dont, en premier lieu, la place prise par la technologie dans l’économie, la nature globale de l’activité économique et l’émergence de nouveaux acteurs par suite des changements géopolitiques, qui confèrent à l’innovation un caractère de plus en plus multipolaire. Il y a lieu de s’attarder sur la dernière de ces explications et de souligner que l’Asie est aujourd’hui la principale source des demandes de titres de propriété intellectuelle déposées dans le monde, avec une part de plus de 60% en moyenne pour les différents droits de propriété intellectuelle.
L’intensification de l’activité en matière de propriété intellectuelle dans le monde a eu des retombées positives sur la vie de l’Organisation. Celles-ci se manifestent de multiples façons.
L’augmentation de la demande mondiale de titres de propriété intellectuelle se traduit par des taux de croissance positifs en ce qui concerne tant le nombre de membres et l’utilisation des systèmes mondiaux de propriété intellectuelle de l’OMPI, à savoir le Traité de coopération en matière de brevets (PCT), le Système de Madrid concernant l’enregistrement international des marques et le Système de La Haye concernant l’enregistrement international des dessins et modèles, que l’utilisation des services du Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI. Le PCT a reçu 243 500 demandes internationales en 2017, ce qui représente une augmentation de 4,5% par rapport à l’année précédente; le système de Madrid a reçu 56 200 demandes internationales, en augmentation de 5% par rapport à 2016; et le système de La Haye a enregistré 19 429 demandes de dessins ou modèles, soit une augmentation de 3,8% par rapport à l’année précédente. En 2017, le Centre d’arbitrage et de médiation a été saisi de 3074 litiges relatifs à des noms de domaine de l’Internet et 52 demandes de médiation ou d’arbitrage concernant des litiges de propriété intellectuelle de nature plus générale, ce qui constitue un chiffre record dans les deux cas. Les résultats obtenus jusqu’ici en 2018 font apparaître des tendances analogues à celles de 2017 pour tous ces systèmes.
Les services assurés par l’Organisation au titre des différents systèmes mondiaux de propriété intellectuelle génèrent 92% de ses recettes. Les excellents résultats de ces systèmes, associés à une gestion prudente et avisée des dépenses, sont à la base de la stabilité financière de l’Organisation. Nous avons clôturé l’exercice biennal 2016-2017 avec un excédent global de 55,9 millions de francs suisses. Pour parvenir à ce résultat, les mesures de gestion financière ont notamment consisté à contenir l’augmentation des dépenses de personnel, rembourser tous les prêts en cours pour le site et les bâtiments de l’Organisation et gérer les fonds propres et la trésorerie stratégique conformément à la politique révisée en matière de placements approuvée par les États membres.
Les traités administrés par l’Organisation continuent d’attirer de plus en plus de membres. Le Traité de Marrakech visant à faciliter l’accès des déficients visuels et des personnes ayant des difficultés de lecture des textes imprimés aux œuvres publiées est le traité de l’OMPI qui a connu le succès le plus fulgurant, non seulement durant l’année écoulée, mais très probablement dans l’histoire de l’Organisation. Cinq ans après son adoption, le nombre d’adhésions s’élève à 41. L’Union européenne devrait adhérer la semaine prochaine. Cela portera à près de 70 le nombre de pays adhérant au traité. De nombreux autres États se préparent à l’adhésion et nous pouvons maintenant entrevoir avec une certaine confiance le moment où le traité deviendra universel, ce qui sera une réussite majeure pour l’Organisation.
Il existe de nombreux autres domaines où l’importance croissante de la propriété intellectuelle se traduit par une participation enthousiaste des États membres aux services et programmes de l’Organisation. Les États membres coopèrent étroitement aux systèmes et plateformes informatiques mis à disposition par l’Organisation. Les offices de plus de 80 pays utilisent IPAS, le système informatique d’administration et de gestion des offices mis au point par l’Organisation. Nos bases de données mondiales, qui reposent sur la coopération entre les États membres, ont étendu leur couverture et offrent un éventail d’outils de pointe aux utilisateurs. Notre réseau de Centres d’appui à la technologie et à l’innovation (CATI) compte désormais 642 institutions dans 76 pays. Tous ces centres, ainsi que d’autres plateformes de coopération, offrent la possibilité d’un renforcement de la coopération fondée sur l’échange de données et permettent d’améliorer l’efficacité, la qualité et la transparence du système de la propriété intellectuelle dans le monde.
La question du développement est présente dans tous les secteurs d’activité de l’Organisation. Les plateformes informatiques que je viens de mentionner s’adressent principalement aux pays en développement, aux pays les moins avancés et aux pays en transition, qui les utilisent abondamment. La demande de renforcement des capacités augmente chaque année, à mesure que la propriété intellectuelle touche une gamme plus large d’activités économiques et sociales. L’Académie de l’OMPI enregistre des taux de participation record au vaste éventail de formations en ligne et présentielles qu’elle propose.
Les programmes de l’Organisation appuient les objectifs de développement durable (ODD) de multiples manières. Les États membres s’emploient à recenser plus précisément les diverses interactions avec les ODD au sein du Comité du développement et de la propriété intellectuelle (CDIP). Nous avons également adhéré à l’esprit des ODD en créant de nouveaux partenariats “rassemblant les gouvernements, le secteur privé, la société civile, le système des Nations Unies et les autres acteurs concernés et mobilisant toutes les ressources disponibles”[1] grâce à une série de partenariats public-privé efficaces, tels que WIPO Re:Search et le Consortium pour des livres accessibles (ABC), deux exemples de collaborations très actives, fructueuses et en plein essor. Un nouveau partenariat public-privé dénommé PAT-Informed sera annoncé cette semaine. Il s’agit d’une initiative dans le cadre de laquelle 20 des plus grandes sociétés pharmaceutiques au monde fourniront des données reliant brevets et médicaments dans le monde entier pour faciliter le processus d’achat. Une organisation non gouvernementale participant à l’achat de médicaments, qui a testé la nouvelle base de données, a estimé que celle-ci avait permis d’accroître de 30% l’efficacité des achats.
Je suis très heureux d’annoncer que les deux initiatives qui avaient été évoquées lors des dernières assemblées se sont révélées particulièrement fructueuses. La première concernait la création au sein du Secrétariat, dans le secteur de l’infrastructure mondiale, d’un Centre d’application des technologies de pointe (ATAC). Ce centre a joué un rôle précurseur au niveau mondial en développant deux applications fondées sur l’intelligence artificielle. L’une de ces applications concerne la traduction automatique neuronale. Elle est largement utilisée en relation avec nos bases de données mondiales et les activités de traduction de l’Organisation. Elle a été concédée sous licence, à titre gracieux, à 14 organisations internationales pour aider à améliorer l’efficacité, le coût et la qualité de la traduction. Une autre application fondée sur l’intelligence artificielle est une première mondiale, à savoir un système de recherche et de reconnaissance d’images destiné à faciliter l’instruction des demandes d’enregistrement de marques et de dessins et modèles et à aider les utilisateurs à trouver les éléments graphiques préexistants dans les marques ou les dessins et modèles qu’ils souhaitent faire protéger.
Ces deux applications de l’intelligence artificielle répondent à la nécessité d’automatiser les tâches pour traiter le volume de travail découlant de demande croissante suscitée par la propriété intellectuelle. De fait, c’est le volume des demandes de titres de propriété intellectuelle à l’échelle mondiale qui définit l’évolution de l’intelligence artificielle. Nous travaillons sur d’autres applications de l’intelligence artificielle et considérons qu’il s’agit d’un domaine très prometteur pour faire progresser la coopération internationale dans le domaine de l’administration de la propriété intellectuelle grâce au partage de connaissances et de systèmes qui joueront aussi un rôle important en matière de renforcement des capacités.
La deuxième initiative concerne la création au sein du Bureau du conseiller juridique d’une division dédiée à l’administration judiciaire de la propriété intellectuelle en vue de coordonner les programmes de l’Organisation relatifs au corps judiciaire et de les promouvoir de manière innovante. Un groupe consultatif composé de juges a été établi. Un cours magistral sur la détermination des droits de propriété intellectuelle qui a connu un franc succès a été organisé à Beijing en coopération avec la Cour populaire suprême de la Chine en août de cette année. Le premier Forum de l’OMPI à l’intention des juges spécialisés dans la propriété intellectuelle se tiendra à Genève en novembre. Nous continuons de recevoir des réactions très enthousiastes de la part des États membres à cette initiative.
Le domaine où l’Organisation rencontre le plus de difficultés pour progresser est celui de l’établissement de normes, phénomène qui touche malheureusement toutes les organisations internationales à l’heure actuelle. Les facteurs limitant les possibilités de progrès dans ce domaine sont complexes et relèvent de différentes causes. Mais cette situation intervient à un mauvais moment dans la mesure à l’évolution technologique provoque des bouleversements économiques et sociaux profonds. Ces changements et leurs répercussions soulèvent de nombreuses questions. Certaines de ces questions concernent les droits de propriété intellectuelle et leur adéquation dans une économie du savoir fondée sur les mégadonnées. D’aucuns considèrent qu’il peut exister des lacunes dans le système de la propriété intellectuelle s’agissant de son application aux données et à l’intelligence artificielle. Je suis convaincu qu’il serait bon qu’un débat ait lieu sur ces questions au sein de l’Organisation. Je ne suis toutefois pas en train de suggérer que le monde serait sur le point d’élaborer de nouvelles normes. Il s’agit moins d’apporter des réponses que de tenter de poser les bonnes questions. Nous aurions tous à gagner à partager nos connaissances, nos avis et nos points de vue sur ces questions afin de favoriser l’émergence d’un terrain d’entente.
En ce qui concerne le projet d’ordre du jour de la présente série de réunions des assemblées, il existe un certain nombre de questions institutionnelles qui restent en suspens au sujet de la composition du Comité de coordination et du Comité du programme et budget, ainsi que des bureaux extérieurs. Il y a également des questions de fond, touchant en particulier la convocation éventuelle d’une conférence diplomatique sur le projet de traité sur le droit des dessins et modèles et la marche à suivre en vue d’une éventuelle conférence diplomatique sur la radiodiffusion. Ce serait à la fois un résultat formidable et un signal positif pour le multilatéralisme si les États membres étaient en mesure de conclure les assemblées après avoir réglé au moins une, voire plusieurs, de ces questions en suspens.
Avant de conclure, je souhaiterais rendre hommage au merveilleux personnel de cette Organisation. L’OMPI compte un très grand nombre de professionnels qualifiés, talentueux et dévoués qui veillent à faire en sorte que l’Organisation produise des résultats et serve les intérêts de ses États membres. Les résultats positifs enregistrés au cours des 12 derniers mois leur doivent beaucoup. La mise en valeur de notre le capital humain, la capacité de retenir les talents et le renforcement de la diversité géographique et de la parité hommes-femmes sont des objectifs fondamentaux pour la direction. À cet égard, j’aimerais aussi réaffirmer notre engagement fondamental à l’égard de l’élimination de toutes les formes d’exploitation et de sévices sexuels et aux initiatives du Secrétaire général et de tant d’autres pour y mettre fin. Notre soutien en faveur d’un environnement de travail empreint de respect est sans réserve.
Je souhaite à toutes les délégations des assemblées très fructueuses qui déboucheront, je l’espère, sur des résultats positifs pour l’Organisation.