Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
DÉCISION DE L’EXPERT
AXA contre Stéphanie Marheux
Litige n° DFR 2006-0015
1. Les parties
Le Requérant est la Société AXA, Paris, France, représenté par le cabinet Marchais de Candé, Paris, France.
Le Défendeur désigné par l’AFNIC est Stéphanie Marheux, Kerzuc, France.
2. Nom de domaine et prestataire Internet
Le litige concerne le nom de domaine <axabanue.fr> enregistré le 23 octobre 2006.
Le prestataire Internet est la société EuroDNS SA (Luxembourg).
3. Rappel de la procédure
Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le ”Centre”) a été reçue le 8 décembre 2006 par courrier électronique et le 13 décembre 2006, par courrier postal.
Le 18 décembre 2006, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le 18 décembre 2006, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.
Suite à une demande du Centre du 21 décembre 2006 par courrier électronique, le requérant a communiqué le 26 décembre 2006 un amendement à sa demande relatif à l’identité du défendeur telle que communiquée par l’AFNIC. Le Centre en a accusé réception le 28 décembre 2006 avec copie au défendeur.
Le Centre a vérifié que la demande et l’amendement répondent bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la Charte”).
Dès le 3 janvier 2007, par courrier électronique, le défendeur réagissait à l’accusé de réception du 28 décembre 2006 précité en précisant en langue anglaise qu’il avait contacté le prestataire Internet pour que le nom de domaine soit supprimé le plus tard possible.
En date du 12 janvier 2007, le requérant a alors demandé la suspension de la procédure afin de régler le transfert du nom de domaine à l’amiable. Le même jour, le Centre a notifié la suspension de la procédure. A la demande du requérant, le Centre a notifié l’extension de la suspension de la procédure en date du 9 février 2007. Le 9 mars 2007 le requérant a demandé la réintroduction de la procédure en raison de l’échec du règlement du litige à l’amiable.
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 13 mars 2007.
Postérieurement à l’ouverture de la procédure administrative, le défendeur désigné par l’AFNIC a adressé au Centre quatre courriers électroniques en date des 22, 23, 26 mars et 4 avril 2007, dans lesquels il nie toute implication dans le présent litige.
Le 16 avril 2007 le Centre nommait Jean-Claude Combaldieu comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.
4. Les faits
Le requérant, la société de droit français AXA, est notamment titulaire des marques suivantes :
Marque verbale AXA n° 1 282 650, déposée le 7 août 1984, à l’Institut National de la Propriété Industrielle, dûment renouvelée, en classes 12, 14, 16, 18, 25, 28, 34, 35, 36, 39 et 41 notamment pour : “publicités et affaires : publicité, distribution de prospectus, d’échantillons, location de matériel publicitaire, aides aux entreprises industrielles et commerciales dans la conduite de leurs affaires, conseils, informations ou renseignements d’affaires. Comptabilité, reproduction de documents. Assurances et finances : assurances. Banques. Agences de change. Gérance de portefeuille. Recouvrement des créances. Loteries. Emission de chèques de voyage et de lettre de crédit. Agences immobilières (vente et location de fonds de commerce et d’immeubles). Expertise immobilière”;
Marque verbale AXA n° 1 644 972, déposée le 18 février 1991, à l’Institut National de la Propriété Industrielle, dûment renouvelée, en classes 38 et 41 notamment pour : “Communications. Education et divertissement”;
Marque semi-figurative AXA n° 1 472 008, déposée le 4 mai 1988, à l’Institut National de la Propriété Industrielle, dûment renouvelée, en classes 35 et 36 notamment pour : “publicités et affaires. Assurances et finances”;
Marque verbale AXA BANQUE n° 1 282 656 déposée le 7 août 1984, à l’Institut National de la Propriété Industrielle, dûment renouvelée, en classes 12, 14, 16, 18, 25, 28, 34, 35, 36, 39 et 41 notamment pour “publicités et affaires : publicité, distribution de prospectus, d’échantillons, location de matériel publicitaire, aides aux entreprises industrielles et commerciales dans la conduite de leurs affaires, conseils, informations ou renseignements d’affaires. Comptabilité, reproduction de documents. Assurances et finances : assurances. Banques. Agences de change. Gérance de portefeuille. Recouvrement des créances. Loteries. Emission de chèques de voyage et de lettre de crédit. Agences immobilières (vente et location de fonds de commerce et d’immeubles). Expertise immobilière”;
Marque communautaire semi-figurative AXA n° 000373894, déposée le 28 août 1996 à l’OHMI en classes 35 et 36, désignant notamment “gestion des affaires commerciales, administration commerciale, conseils, informations et renseignements d’affaires. Assurances; assurance de personnes; assurances-vie; assurances décès; assurances Incendie Accidents Risques Divers; réassurances; courtage; caisses de prévoyance. Affaires financières, monétaires; placements de fonds; estimations et expertises financières, services de consultation en matière de placements financiers, analyses financières; gestion de portefeuilles, placements financiers; services de financement; investissement et constitution de capitaux; transactions financières; recouvrement de créances. Affaires immobilières, estimations et expertises immobilières, évaluation de biens immobiliers, consultation en matière d’affaires immobilières, placements immobiliers, gérance de biens immobiliers, agences immobilières, location de biens immobiliers, recouvrement de loyers”;
Marque communautaire verbale AXA n° 002082998, déposée le 22 janvier 2001 à l’OHMI en classe 38, désignant notamment “Télécommunications; communications par terminaux d’ordinateurs; messagerie électronique; services de transmission d’informations par voie télématique; communication (transmission) sur tous supports multimédia et tous réseaux dont l’Internet.”
Ces marques sont enregistrées et régulièrement exploitées par les sociétés AXA et AXA BANQUE, en particulier pour désigner différents services d’assurances et services financiers.
La Requérante est par ailleurs titulaire, entre autres, des noms de domaine suivants :
<axa.fr> enregistré le 20 mai 1996
<axa.com> enregistré le 24 octobre 1995
<axabanque.fr> enregistré le 22 décembre 1999
<axabanque.com> enregistré le 8 avril 2002.
De plus, il est établi que les termes AXA BANQUE constituent la dénomination sociale de la filiale du requérant : la société AXA BANQUE.
Il est par ailleurs établi que le nom de domaine litigieux <axabanue.fr> a été enregistré le 23 octobre 2006.
5. Argumentation des parties
A. Requérant
Le requérant expose tout d’abord que le groupe AXA offre des services d’assurance et des services financiers et possède de nombreuses filiales dans tous les continents. Il jouit de nos jours d’une réputation mondiale.
Les services bancaires et financiers sont offerts par l’intermédiaire de la société AXA BANQUE. Ces services sont accessibles par voie télématique et, en particulier, par Internet. C’est ainsi que les clients peuvent non seulement obtenir en ligne de nombreuses informations mais aussi consulter et gérer leurs comptes bancaires en utilisant les sites “www.axabanque.com” et “www.axabanque.fr”.
Le requérant expose ensuite comment l’enregistrement du nom de domaine litigieux et son utilisation constituent une atteinte aux droits des tiers.
1- Enregistrement :
Le requérant énumère tout d’abord les marques tant françaises que communautaires qu’il détient ainsi que les noms de domaines qu’il utilise. Il ajoute que les termes AXA BANQUE constituent la dénomination sociale de sa filiale la société AXA BANQUE.
Ces éléments figurent ci-dessus sous le point 4 “Les faits”.
Le requérant expose ensuite que la réservation du nom de domaine <axabanue.fr> porte atteinte à ses droits et en particulier ceux visés ci-dessus.
Après avoir rappelé que le suffixe “.fr” n’est pas appropriable, il soutient que les termes AXA BANQUE et AXA BANUE sont quasi identiques car ils ne diffèrent que par la suppression de la lettre “q”. Cette modification est faiblement perceptible à l’œil.
Le requérant cite à l’appui de sa thèse des décisions antérieures, notamment :
Carrefour c/ Eurotastic limited, Litige OMPI n° DFR2005-0011, où le défendeur avait supprimé une lettre “r” au mot Carrefour;
Orange France c/ KLTE Ltd, Litige OMPI n° DFR2005-0020, où le défendeur avait ajouté, modifié ou supprimé une lettre au mot Orange;
Le requérant cite d’autres décisions allant toujours dans le même sens et en particulier des décisions traitant des termes Thomson et Bang Olufsen.
Le requérant soumet également que dans de telles décisions la conclusion confirme la similarité des signes et qualifie les noms de domaine litigieux de “typosquatting”. Ainsi dans l’affaire LES ECHOS c/ KLTE Ltd., Litige OMPI n° DFR2005-0012 où le défendeur avait supprimé le “s” final du terme LES ECHOS, la décision précisait : “Le nom de domaine litigieux n’est pas identique mais très proche d’un droit antérieur (généralement une marque notoirement connue), et son titulaire profite ainsi des éventuelles fautes de frappe ou omissions de l’internaute pour détourner une partie du trafic vers d’autres sites”.
Le requérant soutient donc en application des articles L 713-3 et L 716-1 du Code de la propriété intellectuelle que de tels actes sont constitutifs de contrefaçon étant précisé que le nom de domaine litigieux <axabanue.fr> permet de diriger l’internaute vers des sites de sociétés concurrentes d’AXA et de sa filiale AXA BANQUE.
Les faits ci-dessus constituent aussi des actes de concurrence déloyale au sens de l’article 1382 du Code Civil par usurpation de noms de domaine, nom commercial et enseigne causant à la société AXA BANQUE un préjudice important.
2- Utilisation :
Le requérant constate que le site “www.axabanue.fr” renvoie les internautes vers des sites qui proposent des services directement concurrents de ceux proposés par les sociétés AXA et AXA BANQUE.
C’est ainsi par exemple que sur la page d’accueil on trouve des liens intitulés “Bank”, “Banking”, “Online Banking” etc… En cliquant sur ces liens, dits sponsorisés, on tombe sur des sites tels que “Internet Banking with First Direct”, “Online account”, “Bankstop”, et même sur “Cetelem-Credit”.
Selon le requérant le défendeur a voulu profiter de la notoriété d’AXA et des marques qu’il détient pour détourner les internautes vers des sites concurrents. Le requérant indique que selon une pratique courante ce type d’activité fait l’objet de rémunérations (voir la décision DIPA c/ LANTEC CORPORATION, Litige OMPI n° DFR2005-0010).
Le requérant conclue qu’en réservant et en utilisant le nom de domaine litigieux renvoyant l’internaute sur une page de parking, sur laquelle ce dernier se voit notamment proposer des liens vers des sites directement concurrents de ceux des sociétés AXA et AXA BANQUE, le défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs d’internet sur le site “www.axabanue.fr” et n’a eu d’autres fins que de spéculer et de s’inscrire dans le sillage des sociétés AXA et AXA BANQUE permettant le détournement des internautes.
En conclusion générale le requérant demande la transmission à son profit du nom de domaine <axabanue.fr> en conformité avec les dispositions de la Charte.
B. Défendeur
Le défendeur qui avait demandé l’anonymat lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux a été révélé par l’AFNIC dans le cadre de la présente procédure. L’AFNIC a indiqué qu’il s’agissait de Madame Stéphanie Marheux résidant à Kerzuc (France).
C’est la raison pour laquelle la requérante a déposé un amendement à sa demande pour désigner clairement le défendeur.
Au reçu par courrier électronique de cet amendement, Madame Stephanie Maheux, a répondu en langue anglaise, également par courrier électronique du 3 janvier 2007.
Ce courrier montre clairement que le défendeur désigné par l’AFNIC connaissait l’existence du nom de domaine litigieux, le prestataire Internet (EuroDNS) et qu’elle répondait bien à l’adresse électronique indiquée.
Par la suite, après l’envoi par courrier spécial en date du 13 mars 2007 de la notification de l’ouverture d’une procédure alternative de résolution des litiges, Madame Stephanie Marheux a envoyé quatre courriers électroniques en langue française exposant qu’elle ne comprenait rien à ce litige, qu’elle était totalement étrangère à cette affaire, qu’elle n’était pour rien dans la création et l’enregistrement du nom de domaine litigieux, et qu’il devait y avoir une erreur sur l’identité du défendeur. Elle en donne pour preuve que son adresse électronique n’est pas celle indiquée par l’AFNIC et que le numéro de téléphone indiqué n’est pas le sien.
Le Centre nous a transmis le dossier en l’état faisant appel à notre pouvoir d’appréciation souverain.
En tout état de cause le défendeur désigné par l’AFNIC n’a apporté aucune réponse sur le fond du présent litige.
6. Discussion
Conformément aux dispositions de l’article 20 (c) du Règlement “L’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent Règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de la conformité avec la Charte”.
A. L’identité du défendeur
Avant d’aborder la discussion de fond, nous souhaitons régler la question de l’identité du défendeur.
Sur ce point nous nous en tiendrons à l’identité du défendeur telle que révélée par l’AFNIC.
Le premier courrier électronique du 3 janvier 2007, rédigé en langue anglaise, montre bien qu’il existe bien à l’adresse indiquée par l’AFNIC une personne dénommée Stéphanie Marheux parfaitement au courant de l’objet de la présente procédure.
Si, curieusement, il existe une autre Stephanie Marheux habitant à l’adresse indiquée qui est étrangère au présent litige, nos conclusions, quelle qu’elles soient, ne pourront en aucun cas lui faire grief.
B. Enregistrement du nom de domaine litigieux
Nous relevons tout d’abord que le requérant détient des droits sur les termes AXA et AXA BANQUE, (marques, dénomination sociale, nom commercial, noms de domaine) antérieurs à l’enregistrement du nom de domaine litigieux.
Il n’est pas contestable non plus que le requérant est notoirement connu en France mais aussi dans de nombreux autres pays.
Le terme AXA enregistré en tant que marque verbale à l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle) et à l’OHMI (Office Communautaire des marques) n’a aucun sens en français et est parfaitement distinctif. Le terme BANQUE étant descriptif la marque AXA BANQUE tire l’essentiel de sa distinctivité du terme AXA.
Si on considère maintenant le nom de domaine litigieux on constate qu’il est composé du préfixe AXA suivi du terme BANUE c’est-à-dire du mot BANQUE auquel on a enlevé la lettre “q”.
En accord avec les décisions antérieures citées par le requérant, nous considérons que le nom de domaine litigieux présente une similitude suffisante avec les marques du requérant pour constituer une contrefaçon au sens de la loi française mais aussi pour induire en erreur l’internaute qui peut se tromper sur l’origine du site litigieux. Il en est d’autant plus ainsi que le terme d’attaque AXA peut laisser penser qu’il s’agit d’un nom de domaine appartenant au requérant. Ce n’est sûrement pas un hasard si le défendeur a choisi un nom de domaine débutant par AXA.
Pour les mêmes raisons nous estimons que l’enregistrement du nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits que le requérant détient sur les noms de domaine antérieurs qu’il utilise ainsi que sur ses noms commerciaux et dénominations sociales.
Nous rappelons enfin que l’article 19(1) de la Charte de Nommage demande au déposant d’un nom de domaine de s’assurer avant l’enregistrement que ce dernier ne porte pas atteinte aux droits des tiers. En l’espèce il nous parait exclu que le défendeur n’ait pas pu connaître l’existence d’AXA et d’AXA BANQUE et des droits antérieurs qui pouvaient être détenus par ces derniers. Une simple recherche sur les bases de données de l’INPI aurait pu, en tant que de besoin, le confirmer.
C. Utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers
Le requérant a démontré dans sa demande que l’utilisation du nom de domaine litigieux a été faite en violation de ses droits.
En effet non seulement ce nom de domaine par lui-même est trompeur mais aussi le contenu du site du défendeur constitue une concurrence déloyale vis-à-vis du requérant. Profitant de la notoriété du requérant, les renvois par des liens hypertextes à des sites de sociétés totalement concurrentes d’AXA et de sa filiale AXA BANQUE en sont la preuve.
Nous estimons donc que l’utilisation du nom de domaine <axabanue.fr> a été faite en violation des droits du requérant.
7. Décision
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine <axabanue.fr>.
Jean-Claude Combaldieu
Expert
Le 30 avril 2007