Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Sanofi contre Thomas Meunier, Johnson & Johnson Sante Beauté France

Litige No. D2020-1864

1. Les parties

Le Requérant est Sanofi, France, représenté par Selarl Marchais & Associés, France.

Le Défendeur est Thomas Meunier, Johnson & Johnson Sante Beauté France, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <sanofi-argentina.com> est enregistré auprès de 1&1 IONOS SE (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Sanofi auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 17 juillet 2020. En date du 17 juillet 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 20 juillet 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 20 juillet 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte. Le Requérant a déposé un amendement à la plainte le 21 juillet 2020.

Le Centre a également indiqué au Requérant que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux était le français. La plainte ayant été déposée en anglais, le Centre a invité le Requérant à fournir la preuve suffisante d’un accord entre les parties pour que la procédure se déroule en anglais, ou une plainte traduite en français ou encore une demande motivée pour que le anglais soit la langue de la procédure.

Le Requérant a déposé une plainte traduite en français le 22 juillet 2020.

Le Centre a vérifié que la plainte et l’amendement à la plainte répondent bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 27 juillet 2020, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 16 août 2020. Le Défendeur a envoyé un courrier électronique le 24 juillet 2020. En date du 17 août 2020, le Centre notifiait le début du processus de nomination de la Commission administrative.

En date du 20 août 2020, le Centre nommait Nathalie Dreyfus comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est Sanofi, société anonyme, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris depuis le 19 avril 2010 sous le numéro SIREN 521 770 263. Le groupe SANOFI est une multinationale française, ayant développé son activité dans le domaine de l’industrie pharmaceutique. Son siège social est situé en France, à Paris.

Le Requérant a développé de nombreux médicaments à travers le monde et consacre un budget considérable en matière de Recherche et Développement afin de développer de nouveaux projets.

Le Requérant est notamment titulaire des marques suivantes :

- Marque française semi-figurative SANOFI n°3831592, enregistrée le 16 mai 2011, pour des produits et services en classes 1; 3; 5; 9; 10; 16; 35, 38; 40; 41; 42; 44;

- Marque française SANOFI, n°96655339, enregistrée le 11 décembre 1996 et dument renouvelée pour des produits et services en classes 1; 3; 5; 9; 10; 35; 40 et 42;

- Marque française semi-figurative SANOFI n°92412574, enregistrée le 26 mars 1992 et dûment renouvelée pour des produits en classe 5;

- Marque française SANOFI n°1482708, enregistrée le 11 août 1988 et dûment renouvelée pour des produits en classes 1; 3; 4; 5; 10; 16; 25; 28; 31;

- Marque de l’Union européenne SANOFI n°010167351, déposée le 2 août 2011 et enregistrée le 7 janvier 2012 pour des produits en classes 3 et 5;

- Marque de l’Union européenne SANOFI n°004182325, déposée le 8 décembre 2004 et enregistrée le 9 février 2006, dûment renouvelée, pour des produits et services en classes 1; 9; 10; 16; 38; 41; 42; 44;

- Marque de l’Union européenne semi figurative SANOFI n°000596023, déposée le 15 juillet 1997 et enregistrée le 1 février 1999, dûment renouvelée, pour des produits en classes 3 et 5;

- Marque internationale SANOFI n°1091805, désignant notamment l’Union Européenne, enregistrée le 18 août 2011 pour des produits et services en classes 1; 3; 5; 9; 10; 16; 35, 38; 40; 41; 42; 44;

- Marque argentine SANOFI n°2302089 enregistrée le 8 juillet 2009 et dûment renouvelée, pour des produits en classe 3;

- Marque argentine SANOFI n°2302091, enregistrée le 8 juillet 2009 et dûment renouvelée, pour des produits en classe 5.

Le Requérant est par ailleurs titulaire de plusieurs noms de domaine reproduisant la marque SANOFI, notamment :

- <sanofi.com>, enregistré le 13 octobre 1995;
- <sanofi.eu>, enregistré le 12 mars 2006;
- <sanofi.fr>, enregistré le 10 octobre 2006.

Le nom de domaine litigieux est <sanofi-argentina.com>, enregistré le 15 juin 2020. Le nom de domaine litigieux redirige vers une page inactive.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

i. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux reproduit les marques SANOFI, fortement distinctives.

En outre, il souligne que SANOFI est une entreprise multinationale très connue dans son domaine, soit le développement, la production et la distribution de produits pharmaceutiques sous la marque et le nom commercial SANOFI.

Le Requérant déclare également qu’au sein du nom de domaine litigieux, la marque SANOFI est reproduite en attaque et apparaît donc comme étant l’élément dominant, en dépit de l’adjonction du terme géographique “argentina”, purement descriptif et de l’extension de nom de domaine générique “.com”, qui doit être ignoré.

Le Requérant ajoute que la simple reproduction, dans un nom de domaine, d’une marque dans son entièrement peut suffire à démontrer le risque de confusion, en dépit de l’ajout de termes descriptifs. L’ajout du terme “argentine” n’aurait que vocation à laisser croire aux internautes que le nom de domaine litigieux est exploité en lien avec les activités du Requérant, en argentine.

Enfin, le Requérant considère que la notoriété de la marque SANOFI ne fait qu’accroître le risque de confusion, marque considérée comme une marque de renommée.

ii. Droits ou intérêts légitimes

Le Requérant affirme que le Défendeur n’a pas d’intérêt légitime à réserver le nom de domaine litigieux, “Thomas Meunier” n’ayant ni ressemblance, ni lien, avec Sanofi.

En outre, le Requérant soutient qu’il n’y a aucun lien le liant au Défendeur. Sanofi n’a jamais concédé de licence ou autorisé le Défendeur à utiliser sa marque.

Le Requérant déclare enfin que le Défendeur n’utilise pas le nom de domaine litigieux dans le cadre d’un usage légitime non commercial ou loyal, puisque le nom de domaine litigieux pointe vers une page inactive.

iii. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Premièrement, le Requérant affirme que le Défendeur n’a pas d’intérêt légitime pour justifier l’enregistrement du nom de domaine litigieux et que, compte tenu de la réputation de la marque SANOFI, cela induit nécessairement un enregistrement de mauvaise foi. L’enregistrement du nom de domaine litigieux ne saurait être une coïncidence.

Au regard de la distinctivité du signe SANOFI et de la renommée des marques, le Requérant considère que l’enregistrement du nom de domaine litigieux doit être vu comme étant le fruit d’une mauvaise foi opportuniste.

Le Requérant soutient, par ailleurs, que le nom de domaine litigieux a été enregistré dans le but d’attirer les utilisateurs d’Internet et de générer une confusion avec la marque SANOFI dans l’esprit du public.

Deuxièmement, le Requérant considère que le Défendeur ne pouvait ignorer l’existence des marques SANOFI et que peut en découler un nécessaire usage de mauvaise foi.

En outre, le Requérant soulève que si le nom de domaine litigieux renvoie vers une page inactive, il est commun d’admettre que la détention passive d’un nom de domaine pouvait caractériser l’usage de mauvaise foi.

Le Requérant estime que l’absence d’usage du nom de domaine litigieux (similaire aux noms de domaine détenus par le Requérant) pourrait lui porter un préjudice irréparable en ce que cela pourrait conduire les consommateurs à penser que la marque SANOFI n’est pas sur Internet.

Enfin, le Requérant avance que l’absence de réponse du Défendeur à sa lettre de mise en demeure, exposant ses droits et requérant son transfert à titre gratuit, permet également de démontrer l’usage de mauvaise foi.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant. Le Défendeur a envoyé un courrier électronique informel le 24 juillet 2020 indiquant ne pas comprendre ce qui se passe et demandant des explications.

6. Discussion et conclusions

Selon le paragraphe 4(a) des Principes directeurs, afin d’obtenir gain de cause dans cette procédure et obtenir le transfert du nom de domaine litigieux, le Requérant doit prouver chacun des trois éléments suivants :

(i) Le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits; et

(ii) Le Défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache; et

(iii) Le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

La Commission administrative rappelle que le cas doit être jugé en dépit de la défaillance du Défendeur (paragraphe 14 des Règles d’application) et qu’elle est amenée à statuer au vu de la plainte et des pièces qui lui ont été fournies (paragraphe 15 des Règles d’application).

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs exige que le Requérant démontre que le nom de domaine litigieux soit identique ou semblable au point de prêter confusion avec une marque sur laquelle le Requérant détient des droits.

D’une part, l’Expert considère que le Requérant a dûment démontré ses droits sur la marque SANOFI.

D’autre part, le Requérant doit établir que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion à la marque du Requérant. A ce titre, de précédentes commissions ont considéré que l’adjonction d’un terme géographique ne suffisait pas à écarter le risque de confusion (voir par exemple Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI, Bouygues contre Kaka Fresh, Litige OMPI No. D2020-0484 : “l’ajout de l’indication géographique “Île-de-France” et de tirets ne sont pas suffisants pour écarter la confusion”.)

Par ailleurs, il est établi qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de l’extension “.com” , élément technique des noms de domaine, lors de l’appréciation du risque de confusion (voir par exemple Matmut contre Younes Ousserhir, Litige OMPI No. D2019-2700 : “ l’adjonction du gTLD “.app” ne peut avoir aucune incidence sur l’appréciation du risque de confusion ” .)

Dès lors, la marque SANOFI dont est titulaire le Requérant est entièrement reproduite dans le nom de domaine litigieux. Les éléments annexes doivent être ici ignorés en ce qu’ils ne permettent pas d’écarter le risque de confusion.

Pour l’ensemble de ces raisons, la Commission administrative considère que la première condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est remplie.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs exige que le requérant démontre que le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

En l’espèce et comme l’a démontré le Requérant, le nom sous lequel est enregistré le nom de domaine litigieux, “Thomas Meunier” ne présente aucune ressemblance avec la marque SANOFI.

En outre, le Requérant a dûment démontré que le Défendeur ne lui était lié ou affilié d’aucune façon et qu’il ne lui avait pas concédé de licence ou autorisé à faire usage de la marque SANOFI, ni à enregistrer le nom de domaine litigieux.

Le nom de domaine litigieux renvoyant à une page inactive, aucun usage non commercial légitime ou loyal de ce dernier par le Défendeur n’a pu être déterminé.

Le Défendeur, n’ayant pas répondu à la plainte du Requérant, il n’a pas cherché à démontrer un droit ou à tout le moins un intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, ce qui contribue à démontrer, comme l’ont souligné de précédentes Commission, l’absence d’intérêt légitime pour le Défendeur à utiliser le nom de domaine litigieux. Si celui-ci disposait d’un droit ou intérêt légitime à faire usage de ce nom, il en aurait naturellement averti le Requérant en donnant réponse à sa lettre de mise en demeure, ou en donnant réponse à la plainte déposée (voir par exemple, Ile-de-France Mobilités contre Remboursement Navigo, Litige OMPI No. D2020-0839 : “La Commission administrative observe, en outre, que, si le Défendeur avait bien des droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux, il aurait été facile pour lui de ne pas faire défaut et de faire valoir ses arguments.”).

Pour les raisons précédemment citées, la Commission administrative conclut que le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, conformément au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs exige que le Requérant démontre que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

D’une part, le Requérant a dûment rapporté la preuve de sa réputation et de sa notoriété à travers le monde, permettant alors de démontrer que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi.

En effet, de précédentes commissions ont déclaré que la notoriété d’une marque était un élément permettant de démontrer l’enregistrement et l’usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux. En effet, dès lors qu’une marque de renommée est reproduite dans un nom de domaine, il est peu probable que réservataire n’en ait pas eu connaissance lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux (voir par exemple, Jcdecaux S.A. contre Maxence Censier, Litige OMPI No. D2018-2053 : “il ne fait aucun doute au vu de la notoriété de la marque AXA que le Défendeur connaissait parfaitement la marque de la Requérante.”).

Au vu des éléments rapportés par le Requérant, il apparaît peu probable que le Défendeur n’avait pas connaissance de l’existence du Requérant au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux. Une simple recherche sur Internet sur le terme “sanofi” lui aurait permis de prendre connaissance de l’ensemble des articles de presse démontrant la notoriété du Requérant.

La Commission considère donc que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi.

D’autre part, et conformément à une jurisprudence constante selon les règles UDRP, il est établi que l’inactivité d’un nom de domaine peut constituer un usage de mauvaise foi (voir par exemple, Amundi Asset Management contre TST, Litige OMPI No. D2018-2266 : “ la Commission administrative relève que l’inactivité du nom de domaine litigieux constitue un acte de détention passive qui dans ces circonstances constitue un usage de mauvaise foi du nom de domaine litigieux”.

En effet, la Commission considère qu’une telle inactivité peut être constitutive d’une détention passive, communément considérée comme constitutif d’un usage de mauvaise foi. Rien en l’espèce ne semble démontrer le contraire.

Enfin, et comme l’a justement avancé le Requérant, le Défendeur n’a pas donné suite à sa lettre de mise en demeure dans lequel un exposé de ses droits avait été dressé afin de requérir le transfert du nom de domaine à titre gratuit. En outre, celui-ci n’a pas non plus donné réponse à la plainte déposée par le Requérant. Ainsi, il ne saurait être établi que le Défendeur fait un usage de bonne foi du nom de domaine litigieux. Celui-ci a nécessairement connaissance des droits du Requérant et maintient malgré tout l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

Pour l’ensemble des raisons ci-avant exposées, la commission administrative considère que le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi et donc que la troisième condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs, telle qu’éclairée par le paragraphe (b), est remplie.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <sanofi-argentina.com> soit transféré au Requérant.

Nathalie Dreyfus
Expert Unique
Le 3 septembre 2020