Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

DÉCISION DE L'EXPERT

AXA SA contre SC, SwissCaution SA, Onkelinx Sophie / SC, SwissCaution SA, Yann Goyonvarc'h

Différend n° DCH2016-0002

1. Les parties

La Requérante est la société AXA SA de Paris, France, représentée par Selarl Candé - Blanchard - Ducamp, France.

La Partie adverse (ou la "Défenderesse") est SC, SwissCaution SA, Onkelinx Sophie de Bussigny, Suisse / SC, SwissCaution SA, Yann Goyonvarc'h de Bussigny, Suisse. SC, SwissCaution SA est représentée par Bertrand R. Reich, Suisse.

2. Les noms de domaine

Le différend concerne les noms de domaine <axa-caution.ch>, <axacaution.ch>,

<axa-mietkaution.ch> et <axamietkaution.ch>.

Les noms de domaine litigieux ont été enregistrés par le biais les unités d'enregistrement Gandi.net et Infomaniak, qui sont reconnues par SWITCH, registre du .ch et du .li.

3. Rappel de la procédure

Une demande a été déposée par AXA SA auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 28 janvier 2016.

En date du 28 janvier 2016, le Centre a adressé une requête au registre SWITCH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par la Requérante. En date du 29 janvier 2016, SWITCH a fourni des informations supplémentaires sur les titulaires des noms de domaine litigieux et a confirmé que les Dispositions relatives à la procédure de règlement des différends pour les noms de domaine .ch et .li (ci-après les "Dispositions") adoptées par SWITCH, le 1er mars 2004 sont applicables aux noms de domaine objets du différend. La Requérante a soumis un amendement à la plainte en date du 29 janvier 2016.

Le Centre a vérifié que la demande (avec l'amendement à la demande) répond bien aux exigences des Dispositions.

Conformément au paragraphe 14 des Dispositions, le 3 février 2016, une transmission de la demande, valant ouverture de la présente procédure, a été adressée à la Défenderesse. Conformément au paragraphe 15(a) des Dispositions, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 23 février 2016. La Défenderesse a soumis une réponse le 22 février 2016 dans laquelle elle a consenti à participer à une conciliation.

En date du 15 mars 2016, le Centre nommait Gérald Page comme conciliateur dans le présent différend. Le conciliateur a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 4 des Dispositions.

Conformément au paragraphe 17 des Dispositions, l'audience de conciliation a eu lieu par téléphone le 6 avril 2016.

La conciliation n'a abouti à aucune transaction entre les parties.

Le 13 avril 2016, le Centre a adressé aux parties une communication les informant de l'échec de la conciliation et invitant la Requérante à déposer une requête de poursuite de la procédure. A réception de cette communication, la Défenderesse a informé le Centre et la Requérante qu'elle acquiesçait à la demande et acceptait que soit rendue une décision lui donnant acte de son accord au transfert des noms de domaine litigieux. Plus tard ce même jour, la Requérante a déposé une demande de poursuite de la procédure.

En date du 22 avril 2016, le Centre nommait dans le présent différend comme expert Anne-Virginie La Spada-Gaide. L'expert constate qu'elle a été désignée conformément aux Dispositions. L'expert a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 4 des Dispositions.

4. Les faits

La Requérante est une société spécialisée dans les assurances, dont le siège se trouve en France. Le groupe AXA déploie des activités dans de nombreux pays et la marque AXA jouit d'une notoriété internationale.

La Requérante est titulaire de la marque internationale AXA n°490 030 enregistrée le 5 novembre 1984 en classe 35, 36 et 39, notamment pour les services de "Publicité et affaires. Assurances et finances", désignant en particulier la Suisse.

La Requérante est également titulaire de la marque suisse AXA n° P453291 déposée le 26 janvier 1998 en classe 25 et 36, notamment pour les services d'"Assurances;assurances de personnes; assurance-vie; assurances-décès; assurances incendie-accidents-risques divers; affaires financières, monétaires; affaires immobilières, consultation en matière d'affaires immobilières, placements immobiliers, gérance de biens immobiliers, agences immobilières, location de biens immobiliers, recouvrement de loyers".

La Défenderesse est une société dont le but statutaire est la fourniture de prestations d'assurances, en particulier dans le domaine des garanties de loyer. Le siège de la société se trouve en Suisse.

La Requérante, par le biais de sa filiale suisse AXA Winterthur, propose également des services dans le domaine de la garantie de loyer sans dépôt bancaire en Suisse.

Le nom de domaine <axacaution.ch> a été enregistré le 25 février 2010. Les noms de domaine

<axa-caution.ch>, <axa-mietkaution.ch> et <axamietkaution.ch> ont été enregistrés le 23 janvier 2015. Ils n'ont pas été utilisés en connexion avec un site web actif.

5. Argumentation des parties

A. Requérante

La Requérante reproche à la Défenderesse d'avoir enregistré des noms de domaine similaires à sa marque AXA, ce qui constitue un comportement déloyal entravant son activité commerciale, notamment sur le territoire suisse.

De plus, selon la Requérante, la Défenderesse ne bénéficie d'aucun intérêt légitime justifiant l'enregistrement des noms de domaines litigieux, ce d'autant que ces derniers sont inactifs.

La Requérante fait en outre valoir qu'en laissant les noms de domaine inactifs, la Défenderesse peut créer l'impression auprès des internautes que la Requérante n'exploite pas ses sites Internet ou que ces derniers sont piratés ou comportent des virus.

La Requérante reproche également à la Défenderesse d'avoir réservé, en sus des quatre noms de domaine litigieux, douze autres noms de domaines contenant la marque AXA (sous des extensions de premier niveau génériques). Ces autres noms de domaine font l'objet de procédures séparées devant le Centre.

B. Défenderesse

La Défenderesse conteste en premier lieu la compétence du Centre au motif que les conditions générales prévues par les contrats d'enregistrement en vertu desquels les noms de domaines sont enregistrés ne lui seraient pas opposables et la priveraient d'un tribunal ordinaire.

Sur le fond, la Défenderesse reproche à la Requérante d'avoir réservé un ou des mots-clé contenant le nom "SwissCaution" dans le cadre du programme publicitaire en ligne d'un moteur de recherche, ce qui aurait pour effet de faire apparaître des résultats ayant trait à AXA lorsqu'il est procédé à une recherche sur "SwissCaution". La Défenderesse expose avoir enregistré les noms de domaine litigieux pour contrer cette "attaque" de la Requérante, et invoque pour sa défense l'exception dite "unclean hands" (qui signifie que la Requérante aurait elle-même agit de façon déloyale).

6. Discussion et conclusions

Aux termes du paragraphe 24(a) des Dispositions, « l'expert statue sur la demande en se fondant sur les allégués des deux parties et les documents écrits déposés, dans le respect des présentes dispositions".

Selon le paragraphe 24(c) des Dispositions, l'expert fait droit à la demande lorsque l'enregistrement ou l'utilisation d'un nom domaine constitue clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au requérant selon le droit suisse ou du Liechtenstein.

Selon le paragraphe 24(d) des Dispositions, il y a clairement infraction à un droit en matière de propriété intellectuelle notamment lorsque

i. aussi bien l'existence du droit attaché à un signe distinctif invoqué que son infraction résultent clairement du texte de la loi ou d'une interprétation reconnue de la loi et des faits exposés, et qu'ils ont été prouvés par les moyens de preuve déposés; et que

ii. la partie adverse n'a pas exposé et prouvé des raisons de défense importantes de manière concluante; et que

iii. l'infraction, selon la demande en justice formulée, justifie le transfert ou l'extinction du nom de domaine.

A. Question procédurale : De la contestation de la compétence du Centre par la Défenderesse

Le Défenderesse a conclu des contrats d'enregistrement portant sur les noms de domaine litigieux avec les unités d'enregistrement Gandi.net et Infomaniak. Ces unités d'enregistrement sont des partenaires agréées de SWITCH, intègrent dans leur contrat d'enregistrement les Dispositions.

Le Défenderesse se plaint de devoir se soumettre à la procédure prévue par les Dispositions, au motif que les Dispositions la priveraient de l'application du juge ordinaire et du droit ordinaire, et ne respecteraient pas son droit d'être entendue. La procédure prévue par les Dispositions institutionnaliserait une forme de tribunal d'exception, et la priverait de la possibilité de faire entendre des témoins.

L'expert fait siennes les considérations de l'expert dans la décision AdunoKaution AG, Aduno Finance AG contre SC, Swiss Caution SA, Litige OMPI No. DCH2015-0019, auquel la Défenderesse était aussi partie et dans le cadre duquel elle avait soulevé un argument procédural semblable :

"[…]. L'enregistrement de tout nom de domaine est soumis, tout comme n'importe quelle autre prestation de services, à la conclusion d'un contrat de services conclu sous la forme d'adhésion à des conditions générales, ce dont tout déposant comme la Défenderesse est parfaitement consciente.

En enregistrant un nom de domaine, le déposant accepte ainsi de respecter ledit contrat, dans lequel figure notamment son obligation de se soumettre en cas de différend à la présente procédure. Dans l'hypothèse où la Défenderesse n'entendait pas se soumettre à cette procédure, il lui était parfaitement loisible de renoncer à ces enregistrements. Elle ne l'a pas fait et a ainsi accepté les conditions contractuelles liées auxdits enregistrements.

La question de savoir si l'administration des preuves offerte par la procédure est suffisamment garante du respect du droit d'être entendu des parties n'est pas plus pertinente. Outre le fait que les droits et obligations conférés par la procédure sont identiques pour l'une ou l'autre des parties, que la Défenderesse a délibérément accepté de s'y soumettre, il appartient à l'Expert d'apprécier si, dans un cas donné, les preuves administrées sont considérées comme suffisantes pour lui permettre de trancher l'affaire ou si, compte tenu des circonstances, la saisine du Centre apparaît inopportune et que la partie requérante doit être renvoyée à faire valoir ses droits en justice. En toute hypothèse, nonobstant une décision défavorable, il est ensuite toujours loisible à la partie défenderesse de saisir un tribunal civil, de sorte qu'une telle décision n'est nullement irréparable."

De plus, comme l'indique le paragraphe 10(a) des Dispositions, les parties sont libres de soumettre le litige à un tribunal compétent pour obtenir une décision indépendante. Le fait que la Défenderesse soit attraite devant le Centre en application des Dispositions ne la prive donc nullement d'un tribunal ordinaire et des principes de procédure qui y sont applicables.

Par conséquent, contrairement à ce qu'invoque la Défenderesse, la compétence du Centre ne peut pas être valablement contestée.

B. Le requérant a-t-il un droit attaché à un signe distinctif selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein?

La Requérante détient notamment une marque internationale AXA n°490030 désignant la Suisse et une marque suisse AXA n° P453291. Elle dispose donc d'un droit attaché à un signe distinctif selon le droit suisse.

C. L'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine constitue-t-il clairement une infraction à un droit attaché à un signe distinctif attribué au requérant selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein?

a) Droit des marques

La Requérante ne soulève pas de violation de son droit à la marque. A des fins d'exhaustivité, il sera néanmoins procédé à une brève analyse du cas sous l'angle du droit des marques.

Selon l'article 13 alinéa 1 de la Loi sur la protection des marques ("LPM"), le titulaire d'une marque a le droit exclusif d'en faire usage pour distinguer les produits ou les services enregistrés et d'en disposer. Il peut donc interdire à des tiers l'usage de signes dont la protection est exclue et qui porteraient à confusion avec sa marque (article 3 LPM).

En l'espèce, les noms de domaine litigieux sont composés de la marque verbale AXA, qui est distinctive, et d'un terme descriptif, à savoir "caution" ou "mietkaution" ("garantie de loyer" en allemand). L'élément prédominant des noms de domaine est donc la marque AXA. Par conséquent, la marque de la Requérante et les noms de domaine litigieux sont similaires.

Cela étant, les noms de domaines litigieux sont inactifs ou conduisent à une page d'attente standard de l'unité d'enregistrement. Or selon la jurisprudence suisse, le simple fait d'enregistrer un nom de domaine ne constitue pas un usage violant le droit à la marque au sens de l'article 13 alinéa 2 LPM (Arrêt du Tribunal fédéral du 8 novembre 2004, 4C.31/2004, "riesen.ch"; Arrêt du Gerichtskreis VIII de Berne Laupen, sic! 2000, 24 s; Lloyd Shoes GmbH v. CSI Group GmbH/ Chris Köppel, Litige OMPI No. DCH2015-0012; Cartier International SA contre Marc Baertschi, Litige OMPI No. DLI2015-0001; Alain Alberini/Kevin Guillet, L'incidence du contenu du site Internet dans les litiges en matière de noms de domaine, sic! 2012 p. 305, 313). Par conséquent, il n'y a pas en l'espèce de violation des droits de la Requérante sous l'angle du droit des marques, la condition de l'usage à titre de marque faisant défaut.

b) Droit de la concurrence déloyale

La Requérante soulève en revanche que le comportement de la Défenderesse constitue un comportement déloyal au sens de la Loi fédérale contre la concurrence déloyale ("LCD"). Selon la Requérante, en enregistrant des noms de domaine contenant sa marque alors qu'elle n'avait aucun intérêt légitime à le faire, la Défenderesse a causé une entrave à l'activité commerciale de la Requérante, plus particulièrement sur le territoire suisse.

Aux termes de l'article 2 LCD, "est déloyal et illicite tout comportement ou pratique commercial qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients".

Indépendamment de tout usage, l'enregistrement d'un nom de domaine reproduisant la marque d'un tiers peut constituer un acte de concurrence déloyale lorsqu'il cause objectivement une entrave à l'activité commerciale du titulaire de la marque et/ou lorsque l'intention de causer une telle entrave est manifeste (Décision de l'expert, AdunoKaution AG, Aduno Finance AG contre SC, Swiss Caution SA, Litige OMPI No. DCH2015-0019, et l'arrêt cité du Tribunal de commerce de Zurich, ZR 101 (2002), 51, du 18 décembre 2001; voir aussi la décision rendue par l'expert dans le cas Cartier International SA contre Marc Baertschi, Litige OMPI No. DLI2015-0001).

En l'espèce, la Défenderesse allègue avoir enregistré les noms de domaine en réaction à une "attaque" de la Requérante, qui aurait réservé comme mot-clé le nom de "SwissCaution" dans le programme publicitaire en ligne d'un moteur de recherche. La Défenderesse n'avance toutefois aucune preuve de cette allégation. A supposer même que le fait reproché à la Requérante soit avéré, on ne voit pas en quoi la réservation de noms de domaine (laissés inactifs) contenant la marque AXA serait de nature à influer sur les résultats des recherches sur "SwissCaution" menées via le moteur de recherche concerné. L'enregistrement des noms de domaine litigieux n'apparaît pas comme une défense, mais plutôt comme une contre-attaque, un comportement dont la Défenderesse apparaît coutumière, à en croire deux affaires récentes (AdunoKaution AG, Aduno Finance AG contre SC, Swiss Caution SA, Litige OMPI No. DCH2015-0019 et April S.A. c. Yann Guyonvarc'h – SC Swisscaution SA, Litige OMPI No. DCH2014-0012).

Estimant que la Requérante avait elle-même un comportement illicite, la Défenderesse fait valoir l'exception dite de "unclean hands". Or, ce principe ne trouve pas application en tant que tel en droit suisse de la concurrence (Peter Jung, ad art. 2 LCD N 124, in : Bundesgesetz gegen den unlauteren Wettbewerb, Berne 2010; AdunoKaution AG, Aduno Finance AG contre SC, SwissCaution SA, Litige OMPI No. DCH2015-0019). D'autre part, on relèvera qu'en l'état actuel de la jurisprudence suisse, la réservation de la marque d'un tiers comme mot-clé ne constitue pas en soi une violation du droit à la marque ou du droit de la concurrence déloyale (arrêt de l'Obergericht de Thurgovie du 7 septembre 2011, sic! 2012 p. 387 ss – "Ifolor"; Irène Rivara, "Keyword advertising : développements récents au regard du droit des marques", PJA 2012, p. 1546 ss, 1551). Rien n'indique donc que la Requérante aurait commis un quelconque acte illicite comme l'allègue – sans le démontrer aucunement – la Défenderesse.

Il apparaît bien plutôt que la Défenderesse a enregistré les quatre noms de domaine litigieux avec l'intention d'entraver les activités commerciales de la Requérante dans le domaine de la garantie de loyer. Ceci constitue un acte de concurrence déloyale au sens de l'article 2 LCD.

Enfin, comme le relève la Requérante dans sa demande, il sied d'ajouter que le Défenderesse a enregistré de nombreux noms de domaines contenant la marque de sociétés d'assurance, soit <zurichcaution.ch>, <helvetiacaution.ch>, <allianzcaution.ch>, <allianzcaution.com>, <baloisecaution.com>, <vaudoisecaution.com>, ou encore <generalicaution.com>. Ces éléments constituent un indice supplémentaire du fait que la Défenderesse agit de mauvaise foi dans le but de nuire à ses concurrents.

Par conséquent, l'expert conclut que le comportement de la Défenderesse tombe sous le coup l'article 2 LCD et constitue une claire infraction au droit suisse. La Défenderesse n'a pas exposé et prouvé de raisons de défense importantes de manière concluante, au sens du paragraphe 24(d)(iii) des Dispositions, dans sa réponse à la plainte. Elle a par ailleurs accepté le transfert des noms de domaine litigieux.

7. Décision

Pour les raisons énoncées ci-dessus, et conformément au paragraphe 24 des Dispositions, l'expert ordonne le transfert des noms de domaine <axa-caution.ch>, <axacaution.ch>, <axa-mietkaution.ch> et <axamietkaution.ch> au profit de la Requérante.

Anne-Virginie La Spada-Gaide
Expert
Le 6 mai 2016