Cour d’Appel de DAKAR
Arrêt N°425/Com du 19 juin 1998
SOCIETE M.SA
c/
STE BA IMPORT-EXPORT
La Cour,
Considérant qu'il est constant que par acte en date des 2
septembre 1980 et 1er juin 1990, les
sociétés M. et Veuve M.C. et FILS ont fait enregistrer aussi
bien auprès de l'Organisation Africaine de la Propriété Industrielle (OAPI)
qu'à l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI), leur marque
industrielle « MEILLOR » apposée sur les pochettes et joints de culasse des
séries 411-129 et 411-652, respectivement, sous les n° 20698 et 045202 ;
Que subséquemment à l'ordonnance, en date du 6 août 1996 par
laquelle le président du Tribunal Régional de Dakar leur avait donné l'autorisation
de faire procéder, par Me J. D.E, Huissier de
justice à Dakar, à la saisie description des joints de culasse
contrefaisants et détenus par les sociétés BA...IMPORT-EXPORT et
FOUR... et, conformément à l'article 50 de
l'Annexe III de l'Accord de Bangui Révisé, de faire délivrer assignation à
celles-ci au plus tard le 17 septembre 1996, les
sociétés M... et Veuve M. C. et FILS, ont
par exploit en date du 22 août 1996 servi assignation aux sociétés sus
dénommées en validation de la saisie pratiquée le 14 août 1996, en paiement de
la somme de cent millions de francs à titre de dommages-intérêts et leur action
a abouti au jugement dont il est fait appel;
Considérant qu'en disposant que la marque constitue un droit
privatif et que la violation doit être sanctionnée, l'Accord relatif à la
création de l'OAPI protège les droits que l'enregistrement d'une marque confère
à son titulaire et il s'ensuit que les divers cas de contrefaçon engagent la
responsabilité de leurs auteurs ;
Considérant que toutes les parties reconnaissent que la
société M... et la société AJ. étaient liées par un contrat de
licence de marque qui a pris fin par la commune volonté des parties, le 3 mai
1993 ;
Considérant qu'en principe, dès que le contrat de licence a pris
fin, l'usage de la marque par la société licenciée devient une contrefaçon, or
au vu des pièces du dossier, notamment du procès-verbal d'huissier en date du 4
septembre 1996 ainsi que des déclarations de la société
FOUR... selon lesquelles, elle a passé, courant 1996, plusieurs commandes
de joints de culasse à la société AJ. et que
celle-ci lui a livré les produits commandés qui, d'ailleurs, constituent,
actuellement, le stock de joints « MEILLOR » qu'elle commercialise au Sénégal,
il apparaît que la société tunisienne a fait usage de la marque « MEILLOR »
après l'expiration du contrat de licence qui la liait à son propriétaire,
spécialement en livrant des joints de culasse à la société importatrice qui, de
ce fait, a manqué à son propre devoir de prudence en introduisant dans l'un des
États membres de l'OAPI, ces produits illicitement revêtus à l'étranger de la
marque protégée au Sénégal ;
Que cela étant, toutefois les sociétés M... et Veuve
M. C. et FILS n'ont pas démontré les moyens par lesquels les
sociétés FOUR... et BA... IMPORT-EXPORT auraient
modifié les caractéristiques de la marque « MEILLOR » qui, ainsi, serait
galvaudée, par imitation frauduleuse de nature à tromper l'acheteur, après la
signification du jugement du tribunal de grande instance de Bobigny ;
Qu'il s'ensuit que ne sont pas prouvés les faits reprochés aux sociétés
FOUR... et BA...IMPORT-EXPORT sur le fondement de l'article 38
(a) de l'Accord portant création de l'OAPI, à savoir que, sans contrefaire la
marque, elles en auraient fait une imitation frauduleuse de nature à tromper
l'acheteur ;
Que dans ces conditions, seule la participation des sociétés
FOUR.... et BA... IMPORT-EXPORT à la réalisation du préjudice subi
par les sociétés M... et Veuve M.C. et FILS est
suffisamment établie, étant fait observer que ces deux sociétés ont introduit
et mis en vente au Sénégal des joints de culasse de marque « MEILLOR »
contrefaisants, or ces faits caractérisés sous l'article 37 (a) de l'Accord de
1977 et relevés à leur charge constituent la contrefaçon par usage ;
Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, de valider la saisie
description pratiquée par Me J.D.E., huissier de
justice à Dakar, le 14 août 1996 ;
Considérant que les sociétés M... et Veuve M.C. ET
FILS sollicitent de la Cour, la condamnation solidaire des
sociétés BA...IMPORT-EXPORT et FOUR... au
paiement, à leur profit, de la somme de cent millions de francs (100.000.000
francs) à titre de dommages-intérêts pour le manque à gagner et le préjudice
commercial qu'elles ont subi du fait de la fabrication et de la
commercialisation de joints de culasse de mauvaise qualité portant leur marque,
joints de culasse contrefaisants et vendus à deux mille cinq cent francs (2.500
francs) l'unité contre seize mille francs (16.000 francs) l'unité pour le
produit original ;
Que les sociétés M... et Veuve M.C. et FILS sollicitent
la destruction du stock de produits contrefaisants « MEILLOR » disponibles sur
le marché sénégalais ainsi que la publication de l'arrêt à intervenir dans
trois journaux sénégalais à parution quotidienne, le tout aux frais des
sociétés BA...IM- PORT-EXPORT et FOUR... ;
Considérant que l'article 44 de l'Accord de Bangui relatif à la
création de l'OAPI dispose que pour réparer le préjudice subi par la victime,
la juridiction saisie peut ordonner la confiscation des produits dont la marque
serait reconnue contraire aux dispositions des articles 37 et 38 de l'Annexe
III du traité, voire ordonner qu'ils soient remis au propriétaire de la marque
contrefaite ou frauduleusement apposée ou imitée, indépendamment de plus amples
dommages-intérêts ;
Considérant que, bien qu'il ait autorisé la description des objets
argués de contrefaçon, le président du Tribunal Régional de Dakar avait refusé
d'ordonner leur saisie réelle, or puisque dans ces conditions, le stock de
produits demeure dans les entrepôts des sociétés responsables, celles-ci ont pu
en disposer librement, de sorte que, faute de pouvoir les identifier
actuellement, donc les dénombrer, il n'est pas possible de prononcer leur
destruction, alors surtout que le stock est certainement épuisé ;
Considérant qu'en matière de marque de fabrique, le préjudice est
évalué au montant des bénéfices réalisés par la vente illicite des objets contrefaits
puisqu'ils constituent la perte subie par la victime de la contrefaçon,
laquelle perte, au demeurant n'étant totale qu'exceptionnellement ;
Que, de fait, par la résonance d'un manque à gagner et d’un
préjudice commercial, la demande des sociétés M... et Veuve M.C. et
FILS s'apparente à la provision de l'article 134 du code des
obligations civiles et commerciales et dès lors, l'indemnité à accorder à titre
de réparation doit être appréciée sur pièces, tant par référence à leurs
situations fiscales, notamment leurs déclarations relatives aux trois années
qui ont précédé celle du dommage, qu'en envisageant leurs bénéfices nets, étant
précisé que c'est le profit réalisé par l'auteur du dommage qui sert à
déterminer le montant de la réparation et non le préjudice ressenti par la
victime ;
Considérant qu'en raison de l'insuffisance des renseignements
fournis par les sociétés appelantes, notamment sur le chiffre d'affaires
réalisé par les contrefacteurs ou bien le volume d'affaires lié à leurs propres
activités commerciales, il est difficile d'évaluer avec précision l'étendue du
préjudice qu'elles ont subi, et ainsi, se trouvant dans l'impossibilité
matérielle de chiffrer réellement ce préjudice, la Cour ne peut statuer que
d’après les
règles de l'équité sans émettre la prétention de réparer intégralement le
préjudice subi par les société M... et Veuve M.C. et FILS à
qui, il y a lieu d'allouer le franc symbolique à titre de
dommages-intérêts ;
Que, en raison du caractère évidemment partiel de cette réparation
par équivalence, il y a lieu d’ordonner, d’une part, la destruction des
échantillons des séries de joints de culasse 411-129 et 411-652 de marque
« MEILLOR » saisis, scellés et remis au greffier en chef du Tribunal
régional Hors Classe de Dakar, suivant procès-verbaux en date des 14 et 27 aout
1996, dressés par Me J.D.E., Huissier de justice à Dakar et d’autre part, la
publication par extrait du présent arrêt dans les quotidiens
« WALFADJIRI » et « le Soleil » sur le fondement de
l’article 43-2 de l’Annexe III de l’Accord relatif à la création de
l’OAPI ;
Considérant qu’il y a lieu de condamner solidairement les sociétés
BA… IMPORT-EXPORT et FOUR… au remboursement tant des frais de publication de
l’arrêt que des frais de destruction des échantillons de joints de culasse
confisqués et répertoriés dans les procès-verbaux sus référencés, ce dont il
résulte, notamment que la demande reconventionnelle de la société FOUR… est mal
fondée ;
Considérant toutefois, que la Société FOUR… a suffisamment prouvé
sa bonne foi dans ses rapports avec la société A.J., cette dernière lui ayant
caché la réalité en joignant aux documents d’exportation le contrat de licence
résilié depuis mai 1993 ;
Qu’en revanche, A.J. n’ayant ni interjeté appel ni été intimé dans
la mesure où il n’est produit au dossier aucun acte d’appel l’impliquant, le
jugement entrepris est définitif à son égard ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement contradictoirement, en matière commerciale
et en dernier ressort ;
EN LA FORME
Reçoit les appels, principal et incident des parties ;
AU FOND
Infirmant partiellement :
Déclare les sociétés FOUR … et BA…IMPORT-EXPORT responsables du
préjudice subi par les sociétés M… et veuve M.C. et FILS, titulaire de la
marque « MEILLOR » contrefaite par usage ;
Valide la saisie description pratiquée le 14 août 1996 par Me
J.D.E., huissier de justice à Dakar ;
Ordonne la destruction des échantillons des séries 411-129 et
411-652 de marque « MEILLOR » saisis, scellés et remis au greffier en
chef du tribunal régional de Dakar suivant procès-verbaux en date des 14 et 27
août 1997 ;
Condamne la société FOUR… et la Société BA…IMPORT –EXPORT au
remboursement des frais de destruction des échantillons confisqués ;
Alloue aux sociétés M… et Veuve M.C et fils le franc symbolique à
titre de dommages-intérêts ;
Ordonne la publication du présent arrêt dans les quotidiens
« Le Soleil » et « WALFADJIRI » ;
Dit que les frais de publication de l’arrêt sont à la charge des
sociétés BA… IMPORT-EXPORT et FOUR… et en conséquence, les condamne au
remboursement de ces frais ;
Pour le surplus, confirme le jugement entrepris ;
Condamne les sociétés BA…IMPORT-EXPORT et FOUR… aux dépens.