Le Requérant est Bouygues de Paris, France, représenté par Nameshield, France.
Le Défendeur est Eric Miche Victor Klipfel de Wiwersheim, France.
Le nom de domaine litigieux <bouyguesbatiments-ile-de-france.com> est enregistré auprès de 1&1 Internet AG (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).
Une plainte en français a été déposée par Bouygues auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 18 décembre 2017. Le 19 décembre 2017, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 22 décembre 2017, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l’ensemble des données du litige. Le 5 janvier 2018, le Centre a notifié aux Parties en anglais et en français, que la langue du contrat d’enregistrement était l’anglais. Le même jour, le Requérant a demandé à ce que le français soit la langue de la procédure. Le Défendeur n’a pas émis de commentaires concernant la demande du Requérant.
Le Centre a vérifié que la plainte répondait bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 17 janvier 2018, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur en anglais et en français. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 6 février 2018. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse.
En date du 27 février 2018, le Centre nommait Isabelle Leroux comme expert dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le Requérant est un groupe industriel français fondé en 1952 et structuré autour de trois activités: la construction, les télécommunications et les médias.
Le Requérant est titulaire de plusieurs enregistrements de la marque BOUYGUES BATIMENT dont:
Par ailleurs, le Requérant a réservé auprès de l’unité d’enregistrement Corehub les noms de domaine <bouygues-batiment-idf.com> le 27 février 2004, <bouygues-batiment-ile-de-france.com> le 30 septembre 2008 et <bouygues-batiment.com> le 29 novembre 2009.
Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux <bouyguesbatiments-ile-de-france.com> le 6 décembre 2017 auprès de l’Unité d’enregistrement. Ce nom de domaine renvoie à une page Internet où l’Unité d’enregistrement indique à l’internaute que le nom de domaine litigieux est “…déjà enregistré”.
Le Requérant soutient que le nom de domaine litigieux <bouyguesbatiments-ile-de-france.com> est semblable au point de prêter confusion avec les marques BOUYGUES BATIMENT.
Il ajoute que l’addition de la lettre “s” à la fin du mot “bâtiment” et l’utilisation de l’extension générique de premier niveau (gTLD) “.com” ne permettent pas d’écarter le risque de confusion avec ses propres marques et noms de domaine. De plus, il affirme que l’adjonction de l’indication géographique “Ile-de-France” dans le nom de domaine litigieux ne permet pas de modifier l’impression d’ensemble selon laquelle le nom de domaine est lié à la marque du Requérant.
Le Requérant fait également valoir que le Défendeur n’a ni droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux <bouyguesbatiments-ile-de-france.com> étant entendu que le Défendeur ne bénéficie d’aucune licence ou autorisation pour utiliser les marques BOUYGUES BATIMENT ni pour les réserver en tant que nom de domaine.
Le Requérant soutient enfin que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi. Pour ce faire, il indique que, compte tenu de la notoriété du groupe Bouygues et de ses marques en France, pays où réside le Défendeur, ce dernier avait connaissance de la marque du Requérant au moment où il a enregistré le nom de domaine litigieux. Il ajoute que le fait que le nom de domaine litigieux redirige vers une page parking de l’Unité d’enregistrement permet de présumer une absence d’utilisation de bonne foi.
Compte tenu de ces éléments, le Requérant sollicite le transfert du nom de domaine litigieux <bouyguesbatiments-ile-de-france.com> à son profit.
Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
Conformément au paragraphe 11(a) des Règles d’application, sauf convention contraire entre les parties, ou sauf stipulation contraire du contrat d’enregistrement, la langue de la procédure administrative est la langue du contrat d’enregistrement, à moins que la Commission administrative n’en décide autrement au regard des circonstances de la procédure administrative.
En l’espèce, il apparaît que la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux est l’anglais.
Cependant, le Requérant a soumis au Centre le 5 janvier 2018 une demande visant à ce que le français soit la langue de la procédure, demande à laquelle le Défendeur n’a pas répondu.
Il appartient par conséquent à la Commission administrative de décider de la langue dans laquelle elle rend sa décision.
Il ressort des éléments communiqués à la Commission administrative que:
- Le Défendeur est domicilié en France et est joignable sur un numéro de téléphone précédé de l’indicatif téléphonique +33 qui désigne la France comme l’indique la fiche WhoIs du nom de domaine litigieux;
- Le nom de domaine litigieux est composé des vocables “bâtiment”, qui est un mot français, et “Ile-de-France” qui est une région française;
- Le contenu de la page Internet accessible via le nom de domaine litigieux est rédigé en français et s’adresse visiblement aux internautes francophones;
- Le Requérant est une société française et a déposé sa plainte en langue française;
- Le Défendeur, invité par le Centre à se prononcer sur la question de la langue de la procédure, n’a pas répondu.
Au regard des éléments qui précèdent, la Commission administrative fait droit à la demande du Requérant de rendre une décision en langue française, estimant que ceci ne porte aucun préjudice au Défendeur, dont tout porte à croire qu’il est francophone.
Le Requérant a justifié de droits sur la marque BOUYGUES BATIMENT antérieurs à l’enregistrement du nom de domaine litigieux.
Le nom de domaine litigieux <bouyguesbatiments-ile-de-france.com>, s’il n’est identique aux marques du Requérant est, en tout état de cause, fortement similaire à ces dernières, au point de prêter à confusion avec les marques du Requérant.
En effet, le nom de domaine litigieux reproduit intégralement les éléments verbaux de la marque BOUYGUES BATIMENT.
L’ajout par le Défendeur de la lettre “s” à la fin du vocable “bâtiment” ne suffit pas pour écarter un risque de confusion entre la marque invoquée et le nom de domaine litigieux comme déjà confirmé dans une précédente décision UDRP (Bouygues c. “SA Bouygues Bâtiment Ile De France”, Litige OMPI No. D2015-2307).
Le Défendeur a également ajouté le terme “Ile-de-France” à la marque BOUYGUES BATIMENT. Or, l’adjonction d’un terme géographique ne saurait diminuer le risque de confusion, spécialement quand il peut être perçu comme apportant, comme ici, une simple précision dans l’identification du titulaire de la marque (voir EUTELSAT SA c. Jérôme Mario, Litige OMPI No. D2017-1018 et Waterman, S.A.S. c. Brian Art, Litige OMPI No. D2005-0340). Et ce d’autant plus que l’Ile-de-France est une région dans laquelle le groupe Bouygues a son siège social et développe une partie de ses activités, comme l’atteste le site Internet du Requérant lié au nom de domaine <bouygues-batiment-ile-de-france.com>.
Enfin, conformément aux principes énoncés par de nombreuses commissions administratives UDRP, l’adjonction du gTLD “.com” ne revêt pas de caractère distinctif dans le domaine des services rendus sur Internet (voir CBS Broadcasting Inc. c. Worldwide Webs, Inc., Litige OMPI No. D2000-0834). Dès lors, cet élément n’est pas davantage de nature à écarter le risque de confusion pouvant exister entre les signes en présence.
Par ailleurs, la Commission administrative relève que l’accumulation en elle-même des variations orthographiques et de l’ajout d’un terme géographique n’est en rien suffisante pour écarter le risque de confusion entre le nom de domaine litigieux <bouyguesbatiments-ile-de-france.com> et les marques antérieures du Requérant.
En conséquence, la Commission administrative considère que le nom de domaine litigieux <bouyguesbatiments-ile-de-france.com> est similaire aux marques antérieures du Requérant au point de prêter à confusion au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs.
Une jurisprudence UDRP bien établie admet que, une fois que le Requérant a rétabli la preuve prima facie que le Défendeur ne détient aucun droit ou intérêt légitime sur celui-ci, il appartient à ce dernier de faire état de droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux (voir Croatia Airlines d.d. c. Modern Empire Internet Ltd., Litige OMPI No. D2003-04559).
En l’espèce, le Requérant affirme que le Défendeur n’est ni affilié au groupe Bouygues, ni autorisé par celui-ci à utiliser la marque BOUYGUES BATIMENT. De plus, le nom “Bouygues” ne correspond pas au patronyme du Défendeur qui n’apparaît pas être connu sous ce nom.
Par ailleurs, le Défendeur n’utilise pas le nom de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ni ne poursuit une utilisation non commerciale légitime ou loyale de celui-ci. Il apparaît en effet que le site Internet vers lequel dirige le nom de domaine litigieux n’affiche que la page parking de l’Unité d’enregistrement.
La Commission administrative estime que le Requérant a établi la preuve prima facie que le Défendeur ne détenait aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, ce qui n’a pas été contesté par le Défendeur qui n’a pas répondu aux arguments du Requérant.
Par conséquent, la Commission administrative estime que le second critère posé au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs est satisfait.
Le nom de domaine litigieux <bouyguesbatiments-ile-de-france.com> reproduit quasiment à l’identique les marques BOUYGUES BATIMENT du Requérant. Or, comme une décision UDPR l’a déjà indiqué, la notoriété en France de la société Bouygues permet de conclure que le Défendeur, qui réside en France, ne pouvait raisonnablement pas ignorer les marques BOUYGUES BATIMENT et que, de ce fait, il a enregistré le nom de domaine litigieux de mauvaise foi (voir Bouygues c. Laurent Bertrand, Litige OMPI No. D2016-1683).
Même si le nom de domaine litigieux n’est à ce jour pas utilisé, il redirige vers la page parking de l’Unité d’enregistrement, ce qui confirme qu’il a été déposé dans le but de porter préjudice au Requérant et invalide une utilisation de bonne foi du nom de domaine litigieux.
Et ce d’autant plus que le nom de domaine litigieux, qui imite en y introduisant de légères variations typographiques le nom de domaine <bouygues-batiment-ile-de-france.com> enregistré en 2008 par le Requérant lui-même, semble être destiné à attirer les internautes en créant une confusion avec le nom de domaine quasi identique du Requérant.
De précédentes décisions UDRP de l’OMPI ont conclu que l’incorporation d’une marque célèbre dans un nom de domaine, couplée avec un site inactif, peut être considérée comme la preuve d’un enregistrement et d’une utilisation de mauvaise foi (voir Boursorama S.A. c. Eurl Heranval, Litige OMPI No. D2017-0179 et Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003).
Le site associé au nom de domaine litigieux étant à ce jour inactif, la Commission administrative ne peut envisager aucune utilisation future du nom de domaine litigieux de bonne foi, soit qui n’empièterait pas sur les marques BOUYGUES BATIMENT du Requérant. En l’espèce, la Commission administrative note que le nom de domaine litigieux risque d’être utilisé de manière frauduleuse pour attirer ou tenter d’attirer les internautes en créant une confusion avec les marques, noms de domaine, et la dénomination sociale du Requérant.
En conséquence, la Commission administrative considère que le nom de domaine litigieux <bouyguesbatiments-ile-de-france.com> a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi au sens du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.
Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <bouyguesbatiments-ile-de-france.com> soit transféré au Requérant.
Isabelle Leroux
Expert Unique
Le 12 mars 2018