Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Boursorama S.A. contre Julien Gonon

Litige No. D2020-3288

1. Les parties

Le Requérant est Boursorama S.A., France, représenté par Nameshield, France.

Le Défendeur est Julien Gonon, France.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le nom de domaine litigieux <boursorama-client.com> est enregistré auprès de Ligne Web Services SARL (ci-après désigné “l’Unité d’enregistrement”).

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Boursorama S.A. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 4 décembre 2020. En date du 4 décembre 2020, le Centre a adressé une requête à l’Unité d’enregistrement aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 7 décembre 2020, l’Unité d’enregistrement a transmis sa vérification au Centre révélant l’identité du titulaire du nom de domaine litigieux et ses coordonnées, différentes du nom du Défendeur et des coordonnées désignés dans la plainte. Le 9 décembre 2020, le Centre a envoyé un courrier électronique au Requérant avec les données relatives au titulaire du nom de domaine litigieux telles que communiquées par l’Unité d’enregistrement et invitant le Requérant à soumettre un amendement à la plainte. Le Requérant a déposé une plainte amendée le 14 décembre 2020.

Le Centre a vérifié que la plainte et la plainte amendée soient conformes aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2 et 4 des Règles d’application, le 17 décembre 2020, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5 des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 6 janvier 2021. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 11 janvier 2021, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 26 janvier 2021, le Centre nommait Nathalie Dreyfus comme experte dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

4. Les faits

Le Requérant est titulaire de plusieurs marques européennes et françaises antérieures pour le signe BOURSORAMA:

-La marque française BOURSORAMA No. 98723359, datée du 13 mars 1998, enregistrée en classes 9, 16, 35, 36, 38 et 42 et dûment renouvelée;
-La marque de l’Union Européenne BOURSORAMA No. 1758614, datée du 13 juillet 2000, enregistrée en classes 9, 16, 35, 36, 38, 41 et 42, et dûment renouvelée;
-La marque française semi-figurative BOURSORAMA No. 3676765, datée du 16 septembre 2009, enregistrée en classes 35, 36 et 38 et dûment renouvelée.

Le Requérant est également titulaire de nombreux noms de domaine reprenant cette marque :

- <boursorama.com> enregistré le 01/03/1998;
- <boursorama.fr> enregistré le 03/06/2005.

Le nom de domaine litigieux <boursorama-client.com> a été enregistré le 2 décembre 2020 auprès de l’Unité d’enregistrement.

Selon la plainte, le nom de domaine litigieux redirige vers une page parking de l’Unité d’enregistrement.

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le Requérant est Boursorama S.A., France, société fournissant des services de courtage en ligne, d’’information financière sur Internet et de banque en ligne, sous la marque BOURSORAMA.

Le Requérant affirme tout d’abord que le nom de domaine litigieux est similaire à ses marques BOURSORAMA et est donc de nature à créer un risque de confusion avec ces dernières. Le nom de domaine litigieux reproduit en effet la marque du Requérant dans son intégralité. L’ajout du terme “client” et du trait d’union ne sont pas suffisants à écarter le risque de confusion. Le Requérant rappelle que les extensions génériques de premier de niveau (“gTLDs") ne sont pas pris en compte dans l’analyse d’identité ou de similitude entre la marque antérieure et le nom de domaine litigieux.

Le Requérant soutient par ailleurs que le Défendeur ne dispose d’aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Le Défendeur n’est pas connu sous le nom de domaine litigieux, il n’est pas non plus affilié au Requérant, ni autorisé par ce dernier à utiliser les marques BOURSORAMA ou à enregistrer le nom de domaine litigieux. De plus, le nom de domaine litigieux redirige vers une page de parking de l’Unité d’enregistrement ce qui confirme que le Défendeur n’a pas d’intérêt légitime à utiliser le nom de domaine litigieux, en l’absence de preuve crédible d’usage ou de préparation démontrable d’usage du nom de domaine en lien avec une offre de produits ou de services de bonne foi.

Enfin, le Requérant conclut que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi. Le Requérant met en exergue la notoriété de sa marque en France et à l’étranger en lien avec des services financiers en ligne. De plus, l’ajout du terme “client” à la marque BOURSORAMA était également destiné à évoquer l’accès client officiel mis en place par le Requérant. Par ailleurs, le terme “boursorama” est uniquement connu en lien avec le Requérant. Enfin, l’enregistrement de ce nom de domaine ne saurait être un hasard, en ce qu’une simple recherche sur le moteur de recherche Google permet d’identifier directement le Requérant. Tous ces éléments démontrent que le Défendeur ne pouvait ignorer l’existence de la marque du Requérant au moment d’enregistrer le nom de domaine litigieux. Le Requérant ajoute également que le Défendeur ne démontre aucune activité relative au nom de domaine litigieux, et qu’il est impossible de concevoir un usage du nom de domaine litigieux qui ne serait pas illégal. La mauvaise foi est donc également caractérisée s’agissant de l’usage du nom de domaine litigieux.

B. Défendeur

Le Défendeur n’a pas répondu aux arguments du Requérant et est donc en faute.

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs énumère trois conditions que le Requérant doit justifier pour obtenir une décision établissant que le nom de domaine litigieux enregistré par le Défendeur soit supprimé ou transféré au Requérant:

(i) le nom de domaine litigieux est identique ou semblable au point de prêter à confusion avec une marque dans laquelle le Requérant a des droits; et,

(ii) le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux; et que

(iii) le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs exige que le Requérant démontre que le nom de domaine litigieux soit identique ou semblable au point de prêter confusion avec une marque sur laquelle le Requérant détient des droits.

Les droits du Requérant sur le signe BOURSORAMA sont établis. La société Requérante Boursorama S.A., France fournit des services de courtage en ligne, d’’information financière sur Internet et de banque en ligne, sous la marque BOURSORAMA. Elle est titulaire de plusieurs marques européennes et françaises antérieures pour le signe BOURSORAMA. La société détient par ailleurs des noms de domaine reproduisant cette marque.

Le Requérant affirme tout d’abord que le nom de domaine litigieux est similaire à ses marques BOURSORAMA et est donc de nature à entraîner un risque de confusion avec ces dernières. Le nom de domaine litigieux reproduit la marque du Requérant dans son intégralité. La Commission administrative considère que l’ajout du terme “client” du tiret et du gTLD ne sont pas de nature à écarter le risque de confusion.

En effet, la jurisprudence UDRP a établi que le fait de reprendre à l’identique une marque dans un nom de domaine peut suffire à établir que ce dernier nom de domaine est identique ou similaire au point de prêter à confusion avec la marque sur laquelle le Requérant a des droits" (voir Spie Batignolles contre Contact Privacy Inc. Customer 1247608742 / Patrick Zulan, Contact Privacy Inc. Customer 1247608605 / Patrick Zulan, Contact Privacy Inc. Customer 1247610341 / Patrick Zulian, Litige OMPI No. D2020-2044).

De la même façon l’ajout d’un terme descriptif et d’un tiret n’a pas été considéré par la jurisprudence UDRP comme étant de nature à neutraliser le risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et la marque antérieure (voir Boursorama S.A. contre Etesse Patrick, Litige OMPI No. D2020-1023 Il ajoute que l’adjonction des termes “www”, “clients” et du tiret, sont insuffisants à écarter tout risque de confusion avec sa marque BOURSORAMA. Le Requérant cite une décision UDRP antérieure rendue en 2003, affirmant que la reprise intégrale de la marque dans le nom de domaine litigieux peut être suffisant pour établir une forte similarité”.)

Par ailleurs, les gTLDs sont toujours ignorés lors de l’analyse de l’identité ou de la similarité, étant considérés comme des éléments techniques (voir GECINA et EUROSIC SA contre WhoisGuard, Inc. / Marine Castel, Litige OMPI No. D2020-1736"Enfin, il est constant que l’extension de premier niveau ".com" constitue un élément technique nécessaire à l’enregistrement d’un nom de domaine, de sorte qu’elle est normalement sans incidence sur l’appréciation du risque de confusion, et qu’elle peut donc être ignorée pour examiner la similarité entre les marques des Requérants et le nom de domaine litigieux", voir Telstra Corporation Limited c. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003 et Synthèse de l’OMPI des avis des Commissions administratives sur certaines questions UDRP, version 3.0, « Synthèse de l’OMPI, version 3.0 », section 1.11).”)

La Commission considère que la similarité du nom de domaine litigieux aux marques BOURSORAMA est sans équivoque. Le risque de confusion est établi. Pour l’ensemble de ces raisons, la Commission administrative considère que la première condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est remplie.

B. Droits ou intérêts légitimes

Le paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs exige que le Requérant démontre que le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

Les Commissions administratives considèrent qu’ "il est de jurisprudence UDRP constante qu’il suffit pour les Requérants de démontrer qu’à première vue (“prima facie”) le Défendeur n’a ni droits ni intérêts légitimes vis-à-vis du Nom de Domaine Litigieux pour qu’il incombe au Défendeur de démontrer le contraire” (voir Swiss Life AG et Swiss Life Intellectual Property Management AG contre Yvon Noblet, Litige OMPI No. D2020-0354).

Le Requérant soutient à cet égard que le Défendeur n’est pas connu sous le nom de domaine litigieux, il n’est pas non plus affilié à la société du Requérant, ni autorisé par ce dernier à utiliser les marques BOURSORAMA ou à enregistrer le nom de domaine litigieux. Ces éléments peuvent suffire à démontrer l’absence de droits ou d’intérêts légitimes du Défendeur sur le nom de domaine litigieux (voir Bouygues contre Kaka Fres, Litige OMPI No. D2020-0484 Il n’existe aucune indication au dossier suggérant que le Défendeur aurait des droits ou des intérêts légitimes l’autorisant à utiliser le nom de domaine litigieux, ou qu’il serait connu sous le nom de domaine litigieux”).

Le Requérant ajoute également que le nom de domaine litigieux redirige vers une page de parking de l’Unité d’enregistrement. Or, il est généralement établi que le défendeur n’a pas d’intérêt légitime à utiliser le nom de domaine en l’absence de preuve crédible d’usage ou de préparation démontrable d’usage du nom de domaine en lien avec une offre de produits ou de services de bonne foi (Voir BNP Paribas contre Nicolas Marcellin, Litige OMPI No. D2018-2723 le nom de domaine litigieux dirige vers une page parking du bureau d’enregistrement GANDI. Or, il est acquis qu’un titulaire de nom de domaine n’a pas d’intérêt légitime en l’absence de preuve crédible d’usage ou de préparation démontrable d’usage du nom de domaine en lienavec une offre de bonne foi de produits ou de services ; voir également Bouygues contre Eric Miche Victor Klipfel, Litige OMPI No. D2017-2512, “Par ailleurs, le Défendeur n’utilise pas le nom de domaine litigieux en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ni ne poursuit une utilisation non commerciale légitime ou loyale de celui-ci. Il apparaît en effet que le site Internet vers lequel dirige le nom de domaine litigieux n’affiche que la page parking de l’Unité d’enregistrement.”).

La Commission considère donc que le Requérant a démontré que le Défendeur n’avait aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Le prima facie case est établi et aucune preuve crédible d’usage ou de préparation démontrable d’usage du nom de domaine en lien avec une offre de bonne foi de produits ou de services n’a été rapportée.

Pour les raisons précédemment citées, la Commission administrative conclut que le Défendeur n’a aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, conformément au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs exige que le Requérant démontre que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

1. Enregistrement de mauvaise foi

Le Requérant met en exergue la notoriété de sa marque en France et à l’étranger pour établir que le Défendeur ne pouvait ignorer l’existence de la marque du Requérant au moment de l’enregistrement. La notoriété démontrée de la marque permet en effet, selon la jurisprudence UDRP antérieure, d’établir la mauvaise foi du Défendeur au moment de l’enregistrement. (Voir Boursorama S.A. contre Roci Stephane, Litige OMPI No. D2020-3414 les marques BOURSORAMA sont des marques bien connues, comme cela a d’ailleurs été jugé ainsi que le relève le Requérant (cf. Boursorama S.A. contre Pharpentier Gildas, supra). Ainsi est-il hors de doute que le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux en toute connaissance de cause et en méconnaissance des droits du Requérant. L’observation vaut d’autant plus que le terme BOURSORAMA est un terme “de fantaisie” créé de toutes pièces par le Requérant, qui n’a pas de sens en lui-même”.

Comme l’a noté le Requérant, il est aussi admis que l’adjonction du terme “client” évoque l’accès client officiel du Requérant. (Voir Boursorama S.A. contre Roci Stephane, Litige OMPI No. D2020-3414 “on doit, qui plus est, suivre le Requérant quand il fait observer que l’adjonction des termes “espace clients” évoque l’espace client officiel du Requérant, sans quoi on ne verrait pas quelle signification elle pourrait avoir.”)

La Commission administrative considère effectivement qu’une simple recherche sur le moteur de recherche Google permettait au Défendeur d’avoir connaissance du Requérant et que le nom de domaine a dès lors été enregistré de mauvaise foi.

La Commission retient donc la mauvaise du Défendeur au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

2. Usage de mauvaise foi

Le Requérant ajoute par ailleurs que le Défendeur ne démontre aucune activité relative au nom de domaine litigieux, et qu’il est donc impossible de concevoir un usage du nom de domaine litigieux qui ne serait pas illégal.

Cet aspect fait l’objet d’une jurisprudence UDRP constante. (Voir Novartis AG contre Okoye Igwe, Litige OMPI No. D2020-2174 aucun usage véritable n’est fait du nom de domaine litigieux qui se borne en l’état à renvoyer à une page parking de l’unité d’enregistrement. Or une telle pratique d’“usage passif”, spécialement quand est incluse dans le nom de domaine litigieux une marque connue, sans but apparentlégitime, est condamnée par les commissions administratives (cf. par exemple Telstra Corporation Limited v. Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003; Confédération Nationale du Crédit Mutuel v. Balley Arthur, Touvet-Gestion, Litige OMPI No. D2015-2221; ou encore, plus récemment, Carrefour contre Geoffroy Pichon, Litige OMPI No. D2020-1539)”.

L’absence d’usage sérieux et effectif du nom de domaine est généralement considérée comme étant constitutive d’usage de mauvaise foi, ce que la Commission administrative considère en l’espèce.

La Commission retient donc également la mauvaise foi du Défendeur dans l’usage du nom de domaine litigieux.

Pour l’ensemble des raisons ci-avant exposées, la Commission administrative considère que le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi et donc que la troisième condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs, telle qu’éclairée par le paragraphe (b), est remplie.

7. Décision

Pour les raisons exposées ci-dessus, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine litigieux <boursorama-client.com> soit transféré au Requérant.

Nathalie Dreyfus
Expert Unique
Le 9 février 2021