Coût des litiges de propriété intellectuelle – une introduction
La presse a beaucoup parlé de la transaction conclue en 2006 dans la célèbre affaire de la chanson “Le lion est mort ce soir” – et de l’heureux dénouement qu’elle constituait pour les héritiers de l’auteur –, la présentant comme une illustration exemplaire de ce que peut faire le système de la propriété intellectuelle pour assurer la rémunération des auteurs1. Il convient toutefois de rappeler que cette affaire était exceptionnelle à de nombreux égards, et notamment en ce qui concerne la prise en charge des frais de l’action. Cette dernière a en effet bénéficié, du fait de la popularité de la chanson et de son importance culturelle, d’une aide financière non négligeable. En fait, l’un des grands obstacles à l’engagement de poursuites en matière de propriété intellectuelle est la lourdeur, parfois même le caractère excessif, des frais de justice.
Dans quelle mesure cette situation empêche-t-elle les titulaires de droits de s’adresser aux tribunaux lorsqu’il est porté atteinte à ces derniers? Le coût élevé des procédures de justice contribue-t-il à l’image d’un système de propriété intellectuelle ne bénéficiant qu’aux riches ou aux grandes entreprises qui peuvent se payer des avocats spécialisés? Et dans ces conditions, que pourrait-on faire à l’égard de ces frais dans le contexte plus large d’un environnement favorable au respect des droits de propriété intellectuelle?
Ce sont là quelques-unes des questions épineuses auxquelles s’est attaqué le Comité consultatif sur l’application des droits de l’OMPI, à sa session de novembre 2009. Les travaux de ce comité, composé d’États membres de l’OMPI et d’organisations ayant statut d’observateur, étaient axés sur “la contribution des titulaires à l’application des droits et son coût, compte tenu de la recommandation n° 45 du Plan d’action de l’OMPI pour le développement”. Le comité a débattu diverses questions sur la base d’analyses d’experts, dont notamment les raisons des coûts élevés de défense des droits de propriété intellectuelle, en particulier dans les pays en développement, et a examiné des suggestions faites quant à des manières de rendre le système plus accessible .
Des préoccupations ont été exprimées en ce qui concerne le montant des honoraires d’avocats. Ceux-ci ont cependant été mis en perspective, du moins pour certains domaines des litiges de propriété intellectuelle, avec le niveau élevé de spécialisation requis dans ce type d’affaire. La question de la charge de la preuve, elle aussi souvent coûteuse (voir “Royaume-Uni : un pays onéreux peut-il s’amender?”), a également été évoquée. L’opinion a été exprimée que la possibilité d’une utilisation plus large des présomptions pourrait mériter une analyse plus approfondie, notamment en ce qui concerne les affaires civiles.
Le comité s’est penché plus particulièrement sur les propositions visant l’allègement du fardeau financier des parties, par exemple par des modèles de résolution extrajudiciaire des litiges (voir “Une solution de remplacement économique”) ou des procédures simplifiées, en particulier dans le domaine de l’application des droits aux frontières. L’accent a été mis sur les mécanismes de réduction des frais de justice, entre autres l’aide juridique ou l’instauration d’une culture de bénévolat de compétence. Il a été rappelé, à cet égard, que l’association du barreau de l’Afrique du Sud exige de ses membres qu’ils traitent chaque année un certain nombre de dossiers sans facturer d’honoraires (“pro bono”), ce qui contribue à la prise en charge de l’intérêt public tout en étant conforme à certaines dispositions de la déclaration des droits (Bill of Rights).
L’adoption d’un système d’honoraires de résultat a également été proposée (voir “Honoraires conditionnels aux États-Unis d’Amérique – égalité de chances pour tous?” ). Ce dernier ne présente évidemment un intérêt que dans les actions visant l’obtention de dommages et intérêts – par opposition à une ordonnance d’injonction. Une autre suggestion donc a été faite : établir aux fins d’engagement de poursuites en matière de propriété intellectuelle des fonds administrés par l’État, constitués à partir des taxes d’enregistrement. D’une manière plus générale, le comité a examiné la question de l’éventuelle utilisation de mesures préemptives comme moyen de contrôler les coûts d’application des droits. Les suggestions formulées à cet égard étaient de définir des politiques commerciales et des modèles d’affaires – afin de réduire la demande de produits de contrefaçon – et d’introduire un meilleur équilibre dans la structure des prix.
Le comité consultatif n’a pas mandat normatif; il est un lieu d’échange d’informations, et n’a pas vocation à rechercher des solutions contraignantes. Les débats ont toutefois fait ressortir clairement que la question du coût excessif des procédures de propriété intellectuelle constitue une préoccupation dans de nombreux pays et apparaît comme ayant des effets préjudiciables à la bonne application des lois et à l’acceptation du système de propriété intellectuelle en général.
Le présent numéro du Magazine de l’OMPI sur le coût de la défense des droits de propriété intellectuelle examine les enjeux évoqués ci-dessus, et notamment le prix et les particularités de la résolution des litiges de propriété intellectuelle dans les juridictions d’Afrique, des États-Unis d’Amérique, d’Europe et du Japon. Le Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI, coéditeur du présent Magazine, explique les avantages de la résolution extrajudiciaire des litiges, laquelle apparaît comme un moyen efficace d’éviter des procédures coûteuses et complexes. Ce numéro propose enfin une série de conseils utiles pour réduire le coût de règlement des conflits de propriété intellectuelle
Par Heike Wollgast, Division de l’application des droits et des projets spéciaux
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1 Pour plus de renseignements sur l’affaire et son règlement, voir l’article “Le retour du lion” dans le numéro 2/2006 du Magazine de l’OMPI.
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